Le monde à ma porte - 23 juillet 2021 | Journal de Morges
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Le monde à ma porte – 23 juillet 2021

Le monde à ma porte – 23 juillet 2021

Je pensais l’autre jour aux colonies de vacances. Je me demandais si elles existent encore, sous la forme qu’elles avaient quand, justement, mes parents estimaient qu’il était bon pour moi que je m’absente quelques semaines en été. Je ne m’en plains pas aujourd’hui, des décennies plus tard, mais on ne me consultait jamais avant de m’envoyer ici, là, avec des enfants inconnus qui étaient parfois aussi timides et tristes que moi. Dans ces troupes formées par le hasard, il y avait très vite une frange de durs, de musclés, qui devenaient les chefs de la tente ou du chalet, suivis par une bande de lèche-bottes prêts à tout pour plaire. On aurait dit, quand je repense à ce passé, une de ces entreprises d’aujourd’hui, pas toutes heureusement, avec les détenteurs du pouvoir et les cireurs de chaussures dominant les simples, les tranquilles, qui deviennent vite les souffre-douleurs.

Si j’ai passé de beaux moments dans certaines «colos», je tremble encore des heures vécues dans le Jura, sous tente, sous la dictature d’un gars un peu plus âgé que moi, donc disons qu’il avait 14 ans, qui était surnommé Taureau. Taureau, rien que ça, messieurs mesdames. Il avait des muscles qui sortaient de tous les côtés de sa chemise ouverte sur ses pectoraux; il parlait fort; il menaçait les êtres comme moi, avec mes bras de flamant rose et mes peurs de l’inconnu. Ah, Taureau, longtemps plus tard, je ne t’aime toujours pas, mon dos garde le souvenir de tes baffes, de ta façon de m’écarter, avec d’autres maigrelets de mon genre, des discussions secrètes que tu menais avec tes sbires. Tu me dois toujours une bouteille de Canada Dry que tu m’as volée en force; tu me dois des excuses pour m’avoir poussé dans les ficelles de la tente et pour avoir éclaté de rire, soutenu par tes abrutis de comparses.

Mais je te dois le fait d’avoir tenu bon, de m’être découvert davantage de forces morales que je ne pensais. Qu’es-tu devenu, bovidé lourdaud et bruyant? Cela m’est égal, en fait. Tu n’étais qu’un presque adolescent, dans le fond, tu te battais sans doute contre tes démons à toi. Tiens, ça m’énerve, voilà que je me mets à devenir tendre à ton égard. Allez, Taureau, on laisse tomber pour la bouteille de Canada Dry, pour les coups, pour les brutalités. Et souhaitons ensemble que dans les colonies d’aujourd’hui, les moniteurs soient plus attentifs, veillent aux injustices, et fassent que les gosses qui se rencontrent en étant des inconnus se quittent deux ou trois semaines plus tard en étant des copains. J’ai retrouvé une carte postale de ce temps-là que j’avais écrite à mes parents. Je leur dis que tout va bien, qu’il fait beau, que j’espère qu’ils viendront à la journée des parents. Ils étaient venus. J’avais pleuré en les voyant arriver, puis à leur départ. Et ceux de Taureau, étaient-ils venus voir leur fiston musclé?

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