«Cette deuxième vie est un cadeau»
Transplanté des poumons au mois d’août 2019, Fabiano Paratore revit. Il s’est lancé le défi de participer à une compétition internationale de golf. Il raconte son histoire poignante.
Installé devant son café à une petite table dans la cour de ses beaux-parents, rien ne laisse deviner que Fabiano Paratore est un survivant. Et pourtant. Ce père de famille de 38 ans est un miraculé.
Tout débute il y a un peu moins d’une décennie. Alors plâtrier peintre dans l’entreprise familiale, celui qui était également officier au Service d’incendie et secours (SIS) Morget réalise que quelque chose ne tourne pas rond. «C’est grâce aux pompiers que j’ai compris, se souvient-il. Après deux ans de réussite de justesse au test de port des appareils respiratoires, je me retrouve avec un contrôle médical obligatoire. Là, on me dit qu’il y a quelque chose d’étrange avec mes poumons, sans savoir quoi.» Après plus d’une année de tests chez un pneumologue, Fabiano Paratore est envoyé vers les spécialistes du CHUV. Prises de sang, scanner, toutes sortes d’examens sont pratiqués, y compris un petit passage auprès de la médecine du travail, pensant que des composantes de certains produits utilisés dans son environnement professionnel pourraient être à l’origine de ces problèmes de souffle. «Je sentais que j’étais limité, mais au début on se dit que ce n’est rien, qu’on mange peut-être un peu trop, ou ce genre de chose», relève le Tolochinois.
C’est en 2015 que le verdict tombe. Et il n’est pas léger. «On m’a d’abord découvert un lupus (ndlr: une maladie inflammatoire causée lorsque le système immunitaire attaque ses propres tissus), puis trois maladies rares et auto-immunes qui se croisent. On appelle ça une pneumopathie interstitielle diffuse, mais dans les faits, on ne peut pas vraiment poser de diagnostic précis. La réalité reste que j’ai une capacité pulmonaire amoindrie.»
Je m’accrochais à mon boulot, mais à ce moment-là, j’aurais dû m’arrêter. J’ai tiré sur la corde
Fabiano Paratore
Forcé de stopper son métier, celui qui est papa de deux jumelles de cinq ans se lance, avec l’aide de l’assurance-invalidité (AI), dans une reconversion pour devenir maître socio-professionel. S’ensuivent plusieurs mois de formation, toujours entrecoupés de contrôles médicaux et d’hospitalisations. «En étant immunosupprimé, le moindre petit souci a vite de grosses répercussions», précise Fabiano Paratore.
Malgré un cursus formateur qui lui plaît et un travail à 50% à la Fondation Polyval à Cheseaux, la santé ne va pas en s’arrangeant. «Dès 2018, ça a commencé à s’aggraver, on sent que la courbe est plutôt descendante, image-t-il. On me met sous oxygène, car ma capacité pulmonaire oscillait entre 60 et 40%. Je m’accrochais à mon boulot, mais à ce moment-là, j’aurais dû m’arrêter. J’ai tiré sur la corde.»
Un battant
Au fur et à mesure de son récit, on prend petit à petit conscience que Fabiano Paratore est un battant et que rien, dans toutes les épreuves traversées n’aurait pu lui enlever son énergie et sa volonté d’aller de l’avant. Même pas le fait de se retrouver sur la liste d’attente pour une transplantation des deux poumons. «On ne réfléchit pas tout de suite aux conséquences, on accepte et, après une semaine d’hospitalisation pour savoir si on peut recevoir une greffe, on conclut le contrat. C’est comme pour acheter une voiture, sauf que là, vous signez pour de nouveaux poumons», se souvient le Tolochinois en souriant. Nous sommes alors en janvier 2019 et l’attente débute. «On garde en permanence son téléphone près de soi, on vérifie toujours qu’il y ait du réseau, car on sait qu’on peut nous appeler à tout moment. Avec mon expérience des pompiers, j’avais l’habitude, mais c’est tout de même spécial.»
Les mois suivants sont particulièrement compliqués. «C’est un peu la descente aux enfers, témoigne le jeune père de famille. Je vivais avec une aide respiratoire pratiquement 24 heures sur 24. Il y avait des tuyaux partout dans la maison pour que je puisse avoir de l’oxygène. Même sous la douche, j’en avais besoin.»
Plusieurs hospitalisations lourdes marquent également ce début d’année, notamment la troisième, qui a duré un mois et lors de laquelle Fabiano apprend qu’on va le retirer de la liste pour une greffe. «Mon état de santé était trop faible pour subir une opération aussi importante qu’une transplantation. J’étais à 20% de capacité pulmonaire. À ce moment-là, je dois avouer que je me sentais au bout.»
Je me revois dire au revoir de la main à ma femme et mes filles devant la maison. C’est très fort, car, à ce moment-là, on réalise que c’est peut-être la dernière image qu’on va garder
Fabiano Paratore
Appel salvateur
Pas question pour autant de baisser les bras. Malgré son affaiblissement, l’ancien pompier donne tout pour sortir de l’hôpital et retrouver une place sur la liste d’attente. Et son abnégation paie puisque mi-juillet, il redevient receveur potentiel. La suite s’enchaînera assez rapidement. Le 8 août 2019, alors que Fabiano et sa femme préparent le repas du soir, le téléphone sonne, un numéro inconnu. «Là, une voix enjouée me dit: ‘‘Bonne nouvelle, j’ai des poumons pour vous!’’ Au début je crois à une blague de mes potes. Mais c’était le collègue de mon médecin habituel. Et c’était véritablement pour m’annoncer ça. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’on ressent. C’est indescriptible et je ne revivrai jamais ça dans ma vie! Et puis, ça retombe très vite, car, en attendant l’ambulance, on a le temps de tergiverser et de penser au pire.»
Son départ à l’hôpital, Fabiano en conserve un souvenir qu’il se remémore avec émotion. «Je me revois dire au revoir de la main à ma femme et mes filles devant la maison. C’est très fort, car, à ce moment-là, on réalise que c’est peut-être la dernière image qu’on va garder.» Et le futur transplanté de préciser. «Durant le trajet, on se rappelle que, jusqu’à l’ultime instant, il n’est pas garanti que le greffon soit compatible. Beaucoup de choses traversent notre esprit, mais on se dit que c’est maintenant et qu’il faut y aller.»
Le trentenaire l’assure, il se sent serein au moment de passer sur la table d’opération. Après 12h d’intervention et presque un mois d’hôpital, il est prêt à dévorer sa nouvelle vie.
Un challenge
Et pour ce féru de challenge, pas question de rester les bras croisés. C’est dans cette optique que, durant six mois, il réapprivoise son corps, un pas après l’autre, une respiration après l’autre. «Il y a des contraintes, j’ai 50 pilules à prendre quotidiennement, à des heures précises. Puis le Covid nous a forcés à retirer nos filles de l’école et à vivre complètement reclus pendant trois mois. Mais l’adaptation, c’est la clé. Si on sait le faire, on s’en sort.»
C’est grâce à sa femme, travaillant dans un magasin spécialisé, que Fabiano se tourne vers son nouveau sport l’été dernier. «La course, ça n’était pas possible, le vélo ne me tentait pas, alors je me suis dit: le golf, pourquoi pas?» Et l’homme se découvre des prédispositions, au point de s’inscrire aux World Transplant Games – ou jeux mondiaux des transplantés – qui doivent se tenir du 28 mai au 6 juin 2021. «Ils devaient avoir lieu au Texas, mais à cause de la pandémie, ils se dérouleront de manière virtuelle. Ce qui n’enlève absolument rien au challenge!»
Le challenge, les défis. Des objectifs qui, tout au long de son incroyable histoire, ont permis à Fabiano Paratore d’avancer et de donner à tout un chacun, une leçon de vie. «Chaque jour terminé est une victoire, lance-t-il. Je sais qu’un rejet est toujours possible et que je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Mais cette deuxième vie, c’est un cadeau que l’on m’a fait. Il est hors de question de ne pas en profiter au maximum.»
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«Je le dois à mon donneur et sa famille»
Fabiano le sait bien, sa nouvelle vie n’aurait pas été possible sans qu’une autre personne n’y laisse la sienne. «Si je fais tout ça, évidemment qu’il y a du challenge pour moi, mais c’est surtout par respect pour mon donneur et sa famille. Je le leur dois.» Et le Tolochinois de raconter: «Après la transplantation, on a l’opportunité d’écrire une lettre à la famille du donneur. Pour moi, c’était une évidence. Je l’ai rédigée et envoyée.» La missive transite alors par plusieurs personnes, qui vérifient que l’anonymat est assuré puis elle est remise aux proches du donneur – s’ils le souhaitent. «J’avoue que j’espérais un retour, mais on ne sait pas. Finalement, on m’a appelé pour m’informer que la famille m’avait écrit et me demander si je voulais lire la lettre. À votre avis?», lance le golfeur dans un sourire. «Je n’ai pas encore répondu, mais je pense que je vais le faire. J’ai envie de leur expliquer que je vais bien, essayer de leur donner du positif, un peu de réconfort et leur dire que c’est grâce à eux que je vis.»
Quant au don d’organe, le transplanté bipulmonaire a évidemment un regard différent aujourd’hui. «J’étais déjà pour avant ma greffe, mais maintenant encore plus. En Suisse, on est mauvais avec ça. Rendez-vous compte qu’une personne en bonne santé peut sauver sept vies. C’est énorme! Tant qu’on n’est pas passé par là, on ne réalise pas à quel point c’est vital.»
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