Le monde à ma porte - 30 juillet 2021 | Journal de Morges
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Le monde à ma porte – 30 juillet 2021

Le monde à ma porte – 30 juillet 2021

Un souvenir, pour les vacances. Pour l’été. C’était un soir, dans les Grisons. Au retour d’une grande marche. Tant de beauté à chaque pas, qu’il n’avait pas été possible de se résoudre à faire demi-tour au bon moment pour rentrer avant la nuit. J’aime la soirée qui commence, la lumière qui s’efface peu à peu, je sais que dans ces moments-là, des silhouettes apparaîtront là où tout était immobile, des vies commenceront leur nuit. Nous avions marché beaucoup, longtemps, nous aurions voulu prolonger encore le bonheur mais il fallait rentrer. Le Parc National des Grisons a son règlement strict. Alors on rentrait. Sur le petit sentier dans la forêt, qui rejoignait le village et la gare, le chaud aux joues racontait la randonnée intense.

Il semblait que tout était rangé, que le soir était trop avancé maintenant pour qu’une surprise vienne ponctuer la balade. Et puis, en contrebas, cette forme, tout à droite. Une biche. Elle nous a vus. Nous sommes à cinquante mètres, elle nous a vus, nous sommes deux, nous avons fait du bruit en marchant, et elle sait sans doute depuis longtemps que nous allons passer à découvert, au-dessus d’elle, sur le sentier. Elle sait qu’on est là, elle ne nous regarde pas, elle ne part pas. C’est étrange. Elle reste immobile. Seules ses grandes et nobles oreilles bougent. Elle ne part pas. Elle devrait partir. Elle devrait courir, vite à l’abri, en sécurité. Mais elle attend.

Et puis, sur la gauche, du mouvement dans les taillis, dans les buissons, ces mouvements que le soir offre parfois, je le savais, mais je n’y croyais plus. Il y a le silence, les couleurs des arbres et des rochers qui luttent encore contre la nuit qui arrive, il y a la biche immobile, et ce mouvement dans les feuillages, et ce faon qui sort de toutes ses pattes folles et maladroites, ce faon qui court en direction de la biche. C’est lui qu’elle attendait, jamais elle ne serait partie sans attendre le garnement qui était parti un peu trop à l’écart. Il y a, à cette heure-là, dans ce soir-là, toute la tendresse du monde qui se dessine, fragile, furtive, devant nous. La mère et le petit. La mère qui a attendu, longtemps, et ce faon tacheté de toute sa jeunesse et son innocence qui débarque.

C’est beau comme une chanson de Barbara, c’est doux, c’est unique, c’est pour nous, c’est cet instant et pas un autre, ce n’était pas et ce ne sera plus, mais nous l’avons vu, nous, les retardataires, les traînards, les passants du crépuscule. La maman et le petit ont fui, elle l’a laissé passer devant, ils se sont confondus avec les feuillages, deux ou trois vagues bruits, lui sa légèreté pataude, elle sa grâce protectrice, et voilà, ils ne sont plus là, nous sommes seuls, ils sont ailleurs, ils sont dans leur monde, nous retournons vers le nôtre, vers les lumières du village qu’on aperçoit au loin, qui annoncent la nuit qui sera là bientôt.

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