Le monde à ma porte – 30 avril 2021
Petites étrangetés au menu de la semaine écoulée. Il faut, pour que je puisse les raconter, que j’en revienne à quelque dix années en arrière. Je me baladais au marché de Morges plus accueillant et charmant que jamais, sous le premier vrai soleil printanier, et j’avais aperçu chez une paysanne, entre légumes et salades, des plants de giroflées à vendre. J’adore ces fleurs-là qui sont à ma mémoire ce que sont les sauges rouges à celle de la chanteuse Barbara dans «L’enfance».
Il faut dire que gamin, entre la ferme des grands-parents et l’habitat familial en bord de campagne, j’apprenais le parfum des fleurs et la forme des bêtes. Les giroflées aux senteurs étourdissantes de la ferme et les sauges rouge profond de chez nous sont restées inoubliables. Donc, au marché de Morges, j’acquiers trois plants de giroflées en imaginant déjà l’incomparable parfum qu’elles m’offriraient dans les semaines à venir. Mais je ne sais pas, le climat, les pluies attendues en vain, puis la sécheresse trop violente, broyèrent les élans de mes giroflées qui restèrent minuscules, rabougries, et moi tout grimaçant de dépit. Mais le printemps d’après, quelle joie: le froid de l’hiver à peine évaporé, elles ont surgi de partout en massif généreux pour me donner en bien plus grand ce que j’avais espéré douze mois plus tôt. J’aurais pu m’y vautrer d’allégresse pour m’y retrouver un innocent en culotte courte. Je ne sais plus qui était la paysanne qui me les avait vendues, mais je lui envoie ce jour un bouquet de mercis.
J’y ai repensé l’autre jour, à ces fleurs, en passant devant un jardin qu’un propriétaire assez peu sensible à la poésie du désordre et de la diversité avait transformé en désert à coups de machines de toutes sortes. Il ne restait rien. Adieu les arbres, les buissons, les corbeilles d’argent, les iris et les giroflées de la vieille dame qui avait habité là et qui salua chaque jour jusqu’à sa mort les recoins un peu sauvages de son jardin. Adieu? Pas tout à fait: juste en bordure du petit Sahara laissé par l’Aplatisseur, par le Grand Dévoreur de fleurs, deux petites personnes admirables m’ont fait signe. Une giroflée et un iris. Elles avaient subi le chaos, la poussière, la force, le bruit, et elles revenaient de nulle part, de toute leur grâce, comme avec prudence, pour ne pas éveiller l’attention.
J’ai marché encore sur le même trottoir. Un peu plus loin, tout là-haut sur un toit en réfection, des ouvriers écoutaient de la musique, du rap qui fuyait en tous sens et rajeunissait le quartier, lançant comme un salut aux fleurs rescapées du chantier de l’impossible. Plus loin encore, je me suis arrêté devant une autre maison qui avait été abandonnée. Labouré, son champ d’iris, hersé, son tapis de muguet dont je prélevais chaque printemps quelques brins en glissant ma main chapardeuse sous le grillage. Et puis, voilà que devant moi, plus de muguet, non, il a trépassé, mais des dizaines d’iris ressuscités! Là, je me suis rappelé Alice, la si gentille dame, maman des iris du Château de Vullierens.
Une chose encore. Après ces miracles floraux, j’en espère un autre: j’espère retrouver, lors de ma prochaine montée entre les névés des Alpes vaudoises, le terrier de marmottes dans lequel mon abruti de chien a laissé glisser sa balle il y a huit jours. Je vais y retourner avec une petite épuisette plus longue que mon bras impuissant. Quelle tête fait la marmotte, devant cette offrande? Mais c’est une autre histoire. D’ici là, il y aura entre les eaux de fonte les éblouissants tapis de crocus.
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