Les agriculteurs ont toujours la flamme
Alors que la Suisse perd des fermes chaque année, la famille de Charrière croit dur comme fer en l’avenir. L’agrandissement récent de la ferme en témoigne dans une profession forcée de se réinventer à mesure des initiatives populaires dont elle fait l’objet.
Cinq bâtiments de plus, des panneaux solaires à perte de vue, une récupération calibrée de l’eau de pluie pour faire face à la demande, rien ne semble laissé au hasard à la «ferme» de la famille De Charrière à Sévery, qui aopéré un tournant majeur l’an dernier. «J’ai toujours eu la volonté de l’avant, de moderniser notre outil de travail, mais après un premier projet il y a dix ans, il a été jugé plus sage de patienter en attendant de voir quelle orientation allait prendre les jeunes», résume Guy de Charrière, le patriarche qui forme un tandem avec Laurence, son épouse.
Les «jeunes», précisément, ce sont Mathieu (29 ans) et Benoît (25 ans), pour qui s’engager puis plus tard reprendre l’exploitation familiale sonne comme une évidence, eux qui ont obtenu le CFC d’agriculteur. «Quand ils étaient petits, ils pleuraient quand j’essayais de faire d’autres activités que de s’occuper du bétail. Ils ont toujours eu ça dans le sang», assure la maman.
Nous savons où nous allons, mais il faut pour cela un outil de travail à la pointe et c’est le but de cette nouvelle ferme
Reste que le défi est de taille et l’investissement de 3,1 millions conséquent. Son ampleur ne laisse pas planer de doute sur l’avenir: il faut avoir confiance en son métier et retrousser ses manches pour l’assumer. «Notre dénominateur commun, c’est la passion des vaches», résume Guy avec son sens de la formule. Il fait le compte: «Nous avons 110 vaches, des Montbéliardes, et 110 vaux. Nous avons suffisamment de surfaces pour fournir le fourrage minimum nécessaire (75% du total) et savons où nous allons. Il faut pour cela un outil de travail à la pointe et c’est le but de cette nouvelle ferme.»
Dont on devine rapidement qu’elle se veut exemplaire sur tous les plans, en premier lieu celui de l’environnement, un thème qui n’est pas exclusif aux seules personnes qui s’en proclament les défenseurs.
À Sévery, les bovins disposent de champs à perte de vue pour paître et d’un abri sous la forme de trois bâtiments qui leur sont dévolus. Deux fois par jour, matin et soir, elles se rendent désormais à la fête foraine, entendez par là un carrousel capable de faire tourner – et de traire – 28 vaches en simultané, sous le regard expert de Mathieu. «Nous avons gagné une heure depuis le changement et c’est évidemment appréciable dans notre organisation. Tout est pensé de manière fonctionnelle pour optimiser le travail. Le lait est ensuite propulsé dans un tank qu’un camion viendra chercher. Fini donc les boilles à la laiterie, image d’Épinal qui n’était déjà plus qu’un souvenir.
Or blanc à préserver
Mais on ne plaisante pas avec ce produit «offert» par la vache puisque c’est lui qui fait tourner la boutique. «Nous avons la chance d’être situés dans une région dont le lait est recherché – et homologué – pour être transformé en gruyère et en vacherin Mont-d’Or durant la saison où il est en vente. Les fromageries sont aussi dynamiques et la famille André nous prend une partie pour fabriquer des pâtes molles, ce qui fait que le lait est payé plus cher, une condition majeure pour la bonne marche de notre exploitation», résume Guy de Charrière, dont le volume se monte à 966 000 kilos par an.
S’il n’a pas lu le livre de Blaise Hofmann, il en a déjà entendu parler et récite parfois des phrases imprimées noir sur blanc dans le bouquin. «La Suisse est à la pointe dans tous les domaines, qu’il s’agisse du bien être des animaux ou de l’usage parcimonieux des produits phytosanitaires, mais la profession ne parvient pas à faire passer le message. Et comme de toute évidence il ne sera pas possible de nourrir la planète avec des microfermes, il faut bien poursuivre avec ce modèle, mais s’adapter aux changements.»
Confiance en l’avenir
À ses côtés, Mathieu et Benoît valident les propos, eux qui ne s’imaginaient pas travailler ailleurs que sur l’exploitation qui les a vus grandir. «La question ne s’est jamais vraiment posée car notre implication ici est naturelle», assure Mathieu, qui est davantage préposé au bétail, alors que son frère est l’homme des machines, même si chacun se remplace dans toutes les fonctions. «Mon constat est que les gens devront toujours se nourrir et que nous serons là pour fournir des produits de qualité», estime Benoît, par ailleurs gardien au sein du FC Pied du Jura. «J’ai la passion de ce métier, j’aime ce que je fais et même si l’avenir peut paraître incertain, je suis confiant avec notre structure moderne.»
Peut-on cependant vraiment trouver l’harmonie en famille 365 jours par an sur un périmètre certes vaste, mais où l’on se côtoie sans cesse. «C’est une bonne question que nous avons résolue en passant cinq mois à l’alpage avec mon mari, sourit Laurence. C’est une parenthèse qui donne de l’air à tout le monde. Reste que les règles du jeu sont claires pour chacun depuis le début: nous avons choisi de travailler ensemble et devons tous tirer à la même corde.»
EN CHIFFRES
Des critiques parfois dures à avaler
Le divorce ville-campagne que décrit – et déplore – Blaise Hofmann dans son livre «Faire paysan» est sans doute correct, mais il ne se limite plus à la région urbaine selon Guy De Charrière. «Nous avons à coeur de pérpétuer la tradition de la montée à l’alpage et de Sévery à Vaulion, nous ne traversons que des villages agricoles. Cela n’empêche pas des automobilistes de nous klaxonner ou de nous insulter parce qu’on leur fait perdre du temps. Et je ne vous parle pas des réactions lorsqu’il y a des beuzes sur la routes…»
Mais l’agriculteur de relever aussi que ces critiques un peu rudes sont assez vite oubliées lorsque des gens s’arrêtent aussi pour lui dire à quel point ce cortège rappelle de superbes souvenirs, aux frontières de l’émotion.
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