Le médecin globe-trotter de Bière
Né 20 ans après Alexandre Yersin, le médecin morgien qui a découvert le bacille de la peste, Frédéric Blanchod, a lui aussi marqué la région à sa manière, notamment le pied du Jura. Récit d’une vie peu commune.
Il est de ces gens qui ont marqué une époque, une région, mais qui sont – de manière parfois inexplicable – complètement tombés dans l’oubli. C’est le cas de Frédéric, dit Fred Blanchod. Ce médecin de campagne qui s’est installé à Bière au début du XXe siècle aura laissé une trace, non seulement au pied du Jura, mais aussi dans toute la Suisse, notamment à travers ses voyages de par le monde et une casquette de journaliste qui l’aura amené à raconter ses périples sur les ondes.
Médecin généreux
Né à Montreux en 1883, Fred Blanchod était déjà rattaché à la région par la famille de son père, négociant en vin, originaire de Ballens. Après sa scolarité et son école de recrue, le Vaudois obtient son diplôme fédéral de médecine en décembre 1907, puis son doctorat presque un an plus tard, juste après son mariage avec Camille, qu’il a rencontrée par le biais d’une société d’étudiants.
Promu lieutenant médecin à la caserne de Bière, il décide de s’installer dans la région et d’y ouvrir un cabinet. «Il s’est fait construire une maison, qui existe encore, raconte Aymon Baud, docteur en géologie qui a consacré un livre à Fred Blanchod. Ce qui est amusant, c’est que plusieurs médecins y ont habité après lui.»
Fred Blanchod avait aussi une «maison de plage» à Allaman et appréciait sa vie dans la région. Il aimait recevoir des amis dans l’une ou l’autre de ses propriétés. «Il avait des amis très connus à cette époque comme Elie Gagnebin, un géologue qui logeait souvent chez Fred Blanchod lorsqu’il devait aller prospecter les sources du pied du Jura, ou le chef d’orchestre Ernest Ansermet. Il adorait les recevoir à la maison.»
Sa femme Camille et celle d’Ernest Ansermet se lient d’amitié et se convertissent au catholicisme. «À cette époque, la paroisse voulait construire une église et Fred Blanchod a cédé une partie de son jardin pour que cela puisse se faire», détaille Aymon Baud. Cette générosité se retrouve aussi dans sa pratique de la médecine. «Les quelques témoignages que nous avons pu recueillir corroborent l’image d’un médecin de famille dévoué, n’hésitant pas à renoncer à ses honoraires auprès des nécessiteux», peut-on lire dans le livre d’Aymon Baud. Le médecin consultait à Bière, mais se déplaçait aussi, à cheval, dans la région pour aller ausculter ses patients.
En tant que généraliste, Fred Blanchod est amené à établir notamment des constats de décès. On retrouve certains exemples de sa pratique dans les archives du Journal de Morges, comme dans l’édition du 26 juillet 1910. «Le dimanche 13 février 1910, mourait à Bière, après quelques jours d’atroces souffrances, Elisa Bollo, femme de Frédéric Bollo. Le vérificateur des décès de la commune de Bière, docteur Blanchod, après avoir constaté le décès, adressa le même jour au Juge de Paix du cercle de Ballens, un rapport dans lequel il informait ce magistrat que la mort de dame Bollo n’était pas naturelle, qu’on était en présence d’un empoisonnement, le cadavre présentant des plaies par brûlures, occasionnées par un acide, à l’épaule, au visage et dans les bronches notamment.»
On aime à penser que c’est grâce à lui que la région n’a été que peu touchée par la grippe espagnole
Aymon Baud, a dédié un livre et une exposition à Fred Blanchod
De retour de ses premiers voyages (lire ci-dessous), Fred Blanchod est en première ligne lors des épidémies, notamment la fameuse grippe espagnole de 1918 durant laquelle il va de maison en maison pour soigner les habitants du coin. «On aime à penser que c’est grâce à lui que la région n’a été que peu touchée», précise Aymon Baud. Le Conseil général de Ballens le remercie en lui décernant le titre de bourgeois d’honneur en 1919. «en reconnaissance des services rendus dans la contrée».
Membre du Conseil communal de Bière (lire encadré), intégré à la commission scolaire locale, actif dans des bonnes œuvres de soutien aux malades, notamment de la tuberculose, Fred Blanchod ne s’arrête jamais. Il trouve même le temps d’écrire un livre: Consultations du médecin-praticien, destiné aux généralistes et aux étudiants en médecine.
À la capitale
Le Birolan d’adoption quittera finalement le pied du Jura en 1927 pour poursuivre sa profession et suivre son envie d’ouvrir une clinique, ce qu’il fera dans la capitale vaudoise. Au moment de s’en aller, il remercie ses patients dans le Journal de Morges. «Dans l’impossibilité où je suis de dire personnellement adieu à tous ceux que je quitte, je vous prie, M. le Rédacteur, de m’accorder l’hospitalité de votre journal pour prendre congé de cette population qui pendant si longtemps m’a entourée de confiance et d’affection», écrit-il dans l’édition du 12 août 1927. «C’est le cœur gros que je quitte ces villages de Bière, Ballens, Apples, Berolle, Mollens, Montricher, St-Livres, Yens, dont je connais chaque maison, chaque chambre, où chaque lieu me rappelle une lutte entreprise contre la maladie.» Et le médecin de conclure par une véritable déclaration d’amour à la région: «Dans ce pied du Jura isolé l’hiver, il se forme entre la population et son médecin des liens de fidélité qui ne se créent peut-être pas ailleurs. La population sait qu’elle a besoin de son seul médecin et ce médecin sent qu’il doit agrandir son savoir pour donner à ceux qui ont mis cette confiance en lui, le maximum de chance de guérir. Je garde de ces 20 années d’activité un souvenir ému et je prie tous ceux que j’ai soignés de croire que je ne les oublierai pas.»
Fred Blanchod s’éteindra le 26 août 1963, à l’âge de 80 ans, après plus de 55 années dédiées à la médecine et aux voyages.
Le calumet au Conseil
Alors qu’il siégeait au Conseil communal de Bière, Fred Blanchod se fit remarquer, notamment par cette décision, quelque peu cocasse pour un médecin. La Tribune de Lausanne du 13 août 1922 rend compte de cette histoire: «Par 14 voix contre 13, sur la proposition de M. Rodolphe Weitzel, pharmacien, et de M. le Dr Fred Blanchod, le Conseil communal de Bière a décidé, malgré l’opposition de M. E. Jotterand-Bellon, que ses membres pourraient fumer pendant les séances, une heure après l’ouverture de celle-ci avec la réserve toutefois que le président pourra, lorsqu’il le jugera opportun et lorsque l’on ne verra plus clair, décider de clore la tabagie.»
Médecin militaire et voyageur
Durant les deux décennies passées à Bière, Fred Blanchod a découvert les voyages, notamment par le biais du Comité International de la Croix-Rouge.
En plus de son cabinet et de son rôle de médecin de famille, Fred Blanchod tient son rôle de médecin militaire. Il est d’abord lieutenant, capitaine, puis major. Dès 1910, il est médecin-chef à la caserne de Bière. C’est là qu’il est mobilisé lors de la Première Guerre mondiale. Dans un premier temps seulement, puisqu’en 1915, il est envoyé en France, à Lyon, pour se former à la chirurgie de guerre.
C’est là que le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) lui propose un premier mandat qui a pour but de visiter des camps de prisonniers militaires afin de s’assurer qu’ils sont bien traités. L’armée suisse le libère et c’est au Maroc que Fred Blanchod effectue sa mission initiale. Celle-ci sera suivie par d’autres en France, Allemagne, Corse, Égypte et Indes.
Lors de ces missions, il se doit de livrer un rapport au CICR, il note et photographie donc tout ce qu’il voit et publie même des reportages de guerre, notamment dans la Gazette de Lausanne à l’époque. Il tiendra ce rôle de délégué du CICR jusqu’en 1919.
Voyages voyages
Il poursuivra des collaborations avec le CICR, entre autres, mais en tant que médecin consultant. En 1926 par exemple, il est mandaté par le gouvernement anglais pour une «mission d’études pour l’amélioration des conditions hygiéniques en Palestine».
En plus de ces missions – souvent très secrètes –, Fred Blanchod effectue d’autres très grands voyages. Dans son livre La Randonnée asiatique, il tente d’expliquer ce qui l’attire aux quatre coins du monde. «Tout sédentaire est un nomade arrêté dans sa course et qui n’aspire, au moins dans son subconscient, qu’à repartir, fût-ce dans son fauteuil. (…) Je ne peux revenir de bien loin, l’avion rend la terre aujourd’hui si petite, mais je rentre tout chargé d’une rumeur de pensées qui me tiendront encore compagnie quand je n’aurai plus rien à attendre de la vie que la garde-malade et l’entrepreneur des pompes funèbres.»
Au total, et sans compter ses missions, Fred Blanchod réalisera cinq grands périples lointains au cours de sa vie. Poussé par la curiosité et l’envie de découverte, mais aussi par la volonté de raconter et d’échanger ensuite sur ce qu’il a vécu à travers des livres, conférences et autres émissions de radio.
Hommage amoureux
Lorsque Fred Blanchod et sa femme quittent Bière, en 1927, ils s’installent à Lausanne. C’est là que Camille tombe gravement malade et décède la veille de Noël 1929, à 55 ans. Pour lui rendre hommage, à l’anniversaire de son décès, en 1930, son époux fait célébrer une messe souvenir et fait don de vitraux à l’église catholique de Bière. Sur l’un d’eux (ci-contre), on voit les époux Blanchod devant Saint-Joseph et un enfant. Peut-être celui qu’ils n’ont jamais eu?
Partager ses expériences par oral et écrits
Si voyager est devenu une véritable passion, Fred Blanchod aime par-dessus tout raconter ses périples, et ce à travers divers moyens, écrits ou oraux.
«Seul celui qui cherche à mieux voir pour bien raconter perd le fâcheux titre de touriste pour devenir un vrai voyageur», déclarait Fred Blanchod dans son ouvrage La Randonnée asiatique, en 1949. Au cours de ses dix voyages au total, il aura découvert et visité plus de 40 pays et régions aux quatre coins du globe. De multiples découvertes qu’il aura consignées dans des carnets de poche qui auront été exploités par la suite pour la rédaction de dix livres, toujours illustrés par des photographies prises par ses soins. «Il se souciait beaucoup de son style d’écriture et de la manière d’écrire», résume Aymon Baud. Il n’hésitait pas à corriger des choses lorsqu’un livre était réédité.»
Au cours de ses voyages, Fred Blanchod rédige parfois des articles qu’il envoie à la Feuille d’Avis de Lausanne et fait dans d’autres journaux des comptes-rendus de ses expériences à l’étranger. Ainsi L’Illustré, la Gazette de Lausanne ou encore La Revue, laissent souvent paraître la signature de Blanchod.
À la radio
Orateur talentueux, le médecin aime donner des conférences pour narrer ses aventures, montrer ses photos et raconter de nombreuses anecdotes appréciées par ses assemblées à une époque où les voyages ne sont pas encore accessibles à tout un chacun.
En 1939, aux débuts de la radio – l’émetteur de Sottens a été inauguré en 1931 –, c’est dans l’émission Le Globe sous le bras que Fred Blanchod raconte ses périples à un public toujours plus grand. Le concept de ce rendez-vous hebdomadaire est d’alterner les histoires de différents voyageurs. Durant 16 ans, Fred Blanchod animera 210 émissions.
À l’image d’un journaliste, ses écrits se veulent descriptifs, sans état d’âme, se basant sur ce qu’il voit et constate, un style certainement dû à sa profession médicale. Il n’oublie cependant jamais «sa» Suisse et l’utilise comme références lors de ces voyages, comme dans ce texte du livre Le Beau Voyage autour du monde: «Le soir, à l’hôtellerie perdue sur un haut plateau, il vente comme dans une maison du Jura l’hiver.»
Expo à découvrir
Du 11 octobre au 29 décembre, Fred Blanchod est à l’honneur dans «son» village de Bière où nombre de ses photographies sont notamment à découvrir.
C’est un livre de Frédéric Blanchod qui l’a fait connaître à Aymon Baud. «J’en avais à la maison et l’histoire de cet homme m’a vraiment intéressé», explique celui qui lui consacre une exposition au Carré d’Expo de la gare de Bière.
Après un ouvrage cosigné avec Monique Baud et Luc Michel Fred Blanchod, de docteur à globe-trotter, Aymon Baud tenait à ramener le médecin sur la terre d’une partie de sa vie. «Ça m’a marqué qu’il soit aussi connu, que ses livres marchent bien dans la région, mais qu’après sa mort, pratiquement plus personne ne sache qui il est», déplore l’ancien géologue.
Faire (re)découvrir aux gens la personnalité incontournable qu’il a été pour la région, mais aussi pour le canton est donc au cœur du travail d’Aymon Baud et ses acolytes. «Nous avons eu la chance de rencontrer l’un de ses descendants qui avait conservé les albums photos notamment. Cette exposition est l’occasion de raconter sa vie, mais aussi de revivre ses voyages à travers ses images», conclut-il. Un voyage à faire jusqu’à la fin de l’année.
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