Le monde à ma porte – 3 septembre 2021
Cela survient comme ça. La vie est normale, faite de creux et de bosses, de moments chauds et de moments plats, de choses pas graves qu’on trouve graves, et soudain ça arrive.
C’est là. C’est fait. Je n’ai pas d’avis sur le fond des choses, sur ce qui est bien, ce qui est mal, s’il fallait, s’il ne fallait pas. Je n’étais pas là et je ne suis ni un policier ni un homme étrange et menaçant. Mais à chaque fois qu’un policier utilise son arme et qu’à la suite de cette décision, de cet acte, un autre homme meurt, je me dis que c’est incroyable.
Rien ne sera plus jamais comme avant pour eux. Pour l’homme décédé, bien sûr, quelle tristesse pour les siens, pour ceux qui étaient ses proches, mais pour le policier aussi. Je suppose qu’on n’entre pas dans la police pour tirer, mais un jour, il se trouve qu’on doit le faire. Je suppose qu’on espère que ce jour ne viendra jamais, que tout se résoudra toujours relativement simplement, que l’arme ne sera jamais nécessaire jusqu’à l’instant ultime. Mais voilà. C’est fait.
Comment le policier vit-il cela, je me le demande toujours, à chaque affaire de ce genre. Comment va-t-il savoir expliquer, revivre les faits, trouver les mots pour qu’on le croie vraiment, pour qu’on comprenne que rien n’était prévu, que l’improvisation, l’urgence absolue face au danger mène à tout. J’imagine ce policier, ses pensées, ses jours, ses nuits, sa rentrée à la maison, les coups de téléphone de ses amis, les regards et les mots de ceux qu’il va croiser. Faire comprendre aux autres et se comprendre soi-même.
J’ai envie, c’est bizarre, moi qui tremble à chaque contrôle routier même quand je suis innocent de tout, j’ai envie d’envoyer un signe de soutien à ce policier que je ne connais pas. Lui dire voilà, sale jour, histoire moche, pas facile, le travail, et tout et tout. J’avais envie l’autre jour, alors que je me trouvais en Bretagne pour quelques jours, d’envoyer une carte postale à un copain. J’ai oublié de le faire. Alors voilà, cette image de rochers incroyables, dans un équilibre fascinant, de la région de Perros-Guirrec, je l’envoie au policier dont la vie a changé, dont l’équilibre, dans l’existence, a bougé. J’espère qu’il n’est pas trop seul. Je le salue, non pour cet acte, dont je répète que je n’en pense rien parce que je n’en sais rien, mais pour le saluer, lui dire bonne chance dans la drôle de vie qui peut-être l’attend, avec cette chose si soudaine en plus, liée au métier qu’il a choisi pour protéger les autres.
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Le mot de la fin: Journaliste
La mort au bout du quai
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