Le monde à ma porte - 27 octobre 2023 | Journal de Morges
Signaler une erreur
Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.

Le monde à ma porte – 27 octobre 2023

Le monde à ma porte – 27 octobre 2023

Il m’arrive, le soir, de me balader dans le quartier avec le chien qui croit que c’est lui qui a fait grandir les arbres des trottoirs en levant la patte dessus depuis onze ans. Je le laisse penser ce qu’il veut. Souvent, j’ai cru qu’on me regardait au cours de ces brèves sorties nocturnes. Que quelqu’un de caché dans la nuit m’observait, que je ne voyais pas et qui ne faisait pas de bruit. J’ai cherché à éclaircir ce modeste mystère en luttant contre ma peur de la nuit. C’est vrai, j’ai peur, dehors, la nuit. Peur qu’on me fasse peur. Peur que quelqu’un arrive derrière moi et pose la main sur mon épaule. Et puis, l’autre jour, j’ai eu la clé de l’énigme. On me regardait, en effet. On me fixait même. La fenêtre de la maison du coin de la rue, là-haut, s’est éclairée et quand j’ai découvert le salon du 2e étage, j’ai vu leurs yeux. Deux bouquetins, un chamois, le regard dirigé sur moi, immobile.

Les malheureux étaient empaillés, comme disait mon grand-oncle Michel, l’onc’ Michel, comme on l’appelait. Je l’ai toujours bien aimé et connu vieux. Il aimait raconter aux enfants ses histoires, parfois rudes, de la guerre de 14-18, et il aimait bien l’écureuil qu’il avait tiré un jour à la chasse, puis accroché au-dessus de la porte du salon. Le taxidermiste n’avait pas fait un très bon travail, alors jour après jour l’écureuil perdait son panache et se transformait en rat déplumé que je passais de longues minutes à observer. L’onc’Michel racontait ses histoires dont il était souvent le héros, puis il se levait, plaçait son béret sur sa tête et partait boire sa Suze au café d’à côté. Alors j’ouvrais les livres lourds qui se dressaient dans la bibliothèque du salon. Il s’agissait de belles revues reliées qui présentaient en textes et en photos les grandes parties de chasse de l’Allemagne des années trente. Je voyais des hommes devant des dizaines de lièvres, faisans ou chevreuils étalés devant un château. Des meutes de chiens, des images de forêts mystérieuses et profondes. Je me perdais là-dedans pendant des heures.

Voilà, je suis donc passé devant cette fenêtre éclairée qui m’a ramené dans un monde bizarre qui éveillait et nourrissait mon imagination en activant ma mémoire. Etrangement, le lendemain de cette découverte, un ami m’a parlé de chasseurs qu’il avait vus sur les collines avoisinantes. Et il m’a raconté cette histoire: un chasseur avait acquis deux chiens de même race pour en faire de bons travailleurs efficaces dans le repérage et le rabattage du gibier. Sa méthode d’instruction était parfaitement programmée. Les chiens allaient devenir des champions. Sauf que… Sauf qu’un jour, alors que c’était strictement interdit dans le cadre de l’apprentissage prévu pour les clébards, un enfant du coin lança un bâton à l’un des chiens qui en fut ravi. À un point tel qu’il ne s’intéressa plus jamais à la chasse, et trouva le bâton beaucoup plus intéressant que les chevreuils ou les lièvres. Son copain chasse, mais lui, il joue. Si je raconte cette anecdote aux empaillés de la fenêtre de mon quartier, vous pensez qu’ils en souriront?

Abonnez-vous au Journal de Morges

Abonnez-vous !

Afin d'avoir accès à l'actualité de votre région au quotidien, souscrivez un abonnement au Journal de Morges. S'abonner, c'est soutenir une presse de qualité et indépendante.