Une nuit à protéger le troupeau du loup
Nous avons suivi des bénévoles qui veillent sur les alpages pour protéger les troupeaux. Avec l’espoir d’améliorer la cohabitation entre le loup et l’être humain.
Récit d'une nuit à guetter l’arrivée du loup
Arrivée à l’Alpage de la Duchatte
Un éleveur désabusé
Situation tendue
Matos de pro
Campement de nuit installé
Des yeux dans la nuit
Pas dormi
"Même quand on a de l’expérience, cela peut aller très vite"
Une association propose à des volontaires d’assurer la surveillance des troupeaux pendant la nuit. Rencontre avec son directeur.
Quand on parle de loup, nombreuses sont les personnes qui ont un avis bien tranché, plus rares celles qui, comme Jérémie Moulin, agissent sur le terrain. Directeur de l’Association OPPAL (Organisation Pour la Protection des Alpages), il mène depuis 2020 des projets visant l’amélioration de la cohabitation entre les activités humaines et les grands carnivores. Parmi ces initiatives figure notamment un programme qui propose à des volontaires de relayer les bergers sur les zones d’estivage afin d’assurer une surveillance continue du troupeau durant la nuit.
Je me suis retrouvé très vite sur des alpages de ma région d’origine et j’ai été confronté aux problématiques rencontrées par les éleveurs
Né en Valais et biologiste de formation, Jérémie Moulin a toujours passé beaucoup de temps en forêt, au contact de la faune et de la flore. Ce qui l’a amené un jour à vouloir voir des loups. «Je me suis retrouvé très vite sur des alpages de ma région d’origine et j’ai été confronté aux problématiques rencontrées par les éleveurs, raconte-t-il. J’ai beaucoup échangé avec l’un d’entre eux et, une fois, alors que je rentrais d’un affût, j’ai aperçu avec ma caméra thermique un loup près de son troupeau. Je l’ai averti et c’est à ce moment-là qu’est née l’idée des veilles. On en a d’abord réalisé quelques-unes avec un ami, puis on s’est dit qu’on pourrait impliquer plus de gens.»
De fin mai à octobre, plusieurs centaines de bénévoles formés par l’association se relaieront ainsi chez des agriculteurs des cantons de Vaud et du Valais. En 2022, les volontaires ont soutenu quatorze alpages différents. «On espère pouvoir faire encore plus cette année», confie Jérémie Moulin. L’organisation apporte une aide aux éleveurs qui en font la demande. «Nous restons pendant plusieurs mois à certains endroits, mais avons également des équipes mobiles qui se déplacent en fonction des lieux où les loups exercent une pression», poursuit le biologiste.
Aucune attaque
À ce jour, aucune bête n’a été attaquée durant les missions assurées par OPPAL. Les surveillances ne sont toutefois pas de tout repos. «Il y a des situations compliquées, affirme le directeur. Des nuits où il pleut des cordes, où les loups viennent à plusieurs et doivent être effarouchés. Dans le Jura vaudois, les zones sont très boisées et les prédateurs peuvent se trouver près du troupeau d’une seconde à l’autre. Même quand on a beaucoup d’expérience et que l’on connaît très bien le matériel, cela peut aller extrêmement vite.»
La mixité entre activités humaines et grands carnivores que l’on souhaite favoriser n’est pas aussi pacifique que certains l’imaginent
Le biologiste parle d’une «lutte perpétuelle»: «La mixité entre activités humaines et grands carnivores que l’on souhaite favoriser n’est pas aussi pacifique que certains l’imaginent. Il faut veiller chaque nuit, être sur ses gardes, prêt à réagir, c’est le prix à payer pour cette cohabitation.»
Esprit ouvert
Grâce à ce programme, OPPAL espère également créer des ponts et des espaces de dialogue. «Nous ne recrutons pas les bénévoles en fonction de leur point de vue, indique Jérémie Moulin. On leur demande par contre d’avoir une ouverture d’esprit sur la problématique du loup et du pastoralisme en Suisse. Pour nous, c’est génial si deux volontaires aux avis opposés se retrouvent un soir sous la pluie à surveiller 500 moutons et débattre. Créer du lien, impliquer les gens, leur faire découvrir le terrain, tout ça est hyper important, en particulier quand un sujet est très clivant. C’est en réunissant les personnes autour d’une table et en dialoguant que des solutions peuvent être trouvées.»
Et si le loup se pointe?
Dans le cas où un loup s’approche près du troupeau, les bénévoles doivent immédiatement réagir en signalant une présence humaine. Pour ce faire, ils peuvent parler fort ou utiliser le spot d’effarouchement. Si cela ne suffit pas, il est préconisé de faire fuir le prédateur à l’aide d’un sifflet ou, en dernier recours, d’une corne de brume. Dans la mesure du possible, il est aussi demandé aux volontaires de filmer la scène avec les jumelles thermiques. Le berger doit également être averti de la présence du canidé. «Il est finalement très important de bien observer le comportement du troupeau, soutient Jérémie Moulin. Les bêtes peuvent potentiellement paniquer et foncer sans réfléchir dans votre direction. Il ne faut prendre aucun risque et être très attentif.»
Combattre le cliché du «bobo citadin»
Si des bénévoles comme Fabienne Syliqi et Christian Crettaz habitent en ville, Jérémie Moulin déplore certaines étiquettes qui collent à la peau de l’association.
«On nous colle encore trop souvent une étiquette de bobos citadins, déplore Jérémie Moulin. Comme si nos bénévoles étaient des rats des villes qui venaient sauver les rats des champs. C’est complètement faux, d’autant plus que la majorité des personnes qui s’engagent habitent la campagne. Et quand ils vivent à Gland ou Genève comme Fabienne et Christian, ce sont avant tout des gens qui connaissent bien la nature et la montagne.»
Si on ne veut pas que tous les éleveurs démissionnent à cause du loup, il faut agir
Christian Crettaz, bénévole
Les deux volontaires sont des habitués du Jura, qu’ils ont parcouru en long et en large. Ils y bivouaquent régulièrement depuis plusieurs années. Passer une nuit dans cet environnement n’est donc pas une nouveauté pour eux. «L’accès à la montagne et à ces espaces de liberté est en partie possible grâce à l’activité pastorale, déclare Christian Crettaz. Si on ne veut pas que tous les éleveurs démissionnent à cause du loup, il faut agir. C’est pourquoi j’ai décidé de m’investir.»
Est-ce que nous, bénévoles, sommes utiles? Je n’en sais rien, mais il faut bien tenter quelque chose
Fabienne Syliqi, bénévole
Retraité mais encore actif, le volontaire a rempli une mission de surveillance dans la nuit de lundi à mardi. Il a quitté l’alpage vers 5h30. Trois heures plus tard, il donnait une formation! Fabienne Syliqi exerce quant à elle deux métiers, mais arrive tout de même à dégager du temps: «Je me suis engagée avec OPPAL car c’est une association bienveillante. J’aimerais que tout le monde s’entende et je crois qu’il y a de la place pour chacun. Est-ce que nous, bénévoles, sommes utiles? Je n’en sais rien, mais il faut bien tenter quelque chose.»
Pour les deux volontaires, ces nuits passées dans la nature sont aussi l’occasion d’observer beaucoup d’animaux avec un matériel de qualité, comme des jumelles thermiques valant plusieurs milliers de francs et dont l’usage est soumis à autorisation. «On peut voir des cerfs, des sangliers, des lièvres, des renards ou même des chats sauvages, s’enthousiasme Fabienne. Mais attention, on ne perd pas de vue notre mission. Et si un loup approche, pas question de l’admirer, on le fait déguerpir.»
Mettre de l'eau dans son vin
Le loup, voilà un sujet sur lequel tout le monde ou presque a un avis. Extrêmement clivante, la question de la cohabitation entre activités humaines et grands prédateurs échauffe les esprits.
En quelques heures passées sur un alpage, j’ai fait connaissance avec un éleveur qui en a légitimement marre de voir ses bêtes se faire attaquer par le carnivore, des bénévoles qui prennent de leur temps afin de protéger son troupeau de veaux, ainsi que le directeur de l’association qui a mis ce programme sur pied.
Lundi en fin de journée, tout ce petit monde était réuni autour d’une bière et d’une tomme à discuter du loup. Tous n’avaient pas le même point de vue, mais ont été capables de dialoguer, d’échanger des idées, et ce dans la bonne humeur. Il n’existe aujourd’hui aucune solution miracle qui puisse satisfaire chacun.
Ceux qui crient à l’extermination du loup ou à sa non-régulation vivent dans le déni et ne font qu’envenimer les discussions. Pour progresser, il faut que chacun mette de l’eau dans son vin et aille à la rencontre de l’autre. Si certains commentateurs des réseaux sociaux l’ont oublié, échanger des points de vue opposés peut se faire de manière courtoise et constructive. C’est ainsi que les choses avancent. Parfois, autour d’une bière et d’une tomme.
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