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Dans nos bois, à la traque du bostryche

Dans nos bois, à la traque du bostryche

Nicolas Bresch à la recherche du bostryche dans les bois de Ballens. Photo: Rempe

C’est un fléau qui existe depuis de nombreuses années, mais dont la présence a véritablement explosé cet été, avec des conséquences pour les forêts de notre région.

Nicolas Bresch vit une traque de chaque instant avec le bostryche. Le garde forestier qui œuvre entre Ballens et Mollens doit se montrer particulièrement vigilant face à un coléoptère ravageur qui creuse des galeries sous l’écorce des arbres et les fait sécher sur pied. «Vous voyez, on remarque de la sciure brune au niveau de la base de l’arbre, nous montre-t-il en s’accroupissant dans la forêt. Ça signifie que le mâle a déjà creusé une galerie nuptiale pour se reproduire.»

Les femelles le rejoindront et, une fois fécondées, pondront une soixantaine d’œufs. «Elles peuvent engendrer jusqu’à trois générations, ce qui est exponentiel et nous donne des dizaines de milliers d’insectes dans un arbre touché», précise Nicolas Bresch.

Trop sec et faible

Si le bostryche s’attaque aussi facilement aux épicéas – ses arbres de prédilection – c’est surtout, car ils sont trop faibles pour se défendre. «Avec les étés très chauds que l’on a vécu ces deux dernières années, les arbres sont en stress hydrique, ils manquent d’eau et se retrouvent vulnérables face au bostryche qui en profite.»

Dans un processus naturel de défense, l’arbre peut provoquer une montée de sève qui fait exploser les insectes. Mais pour ça, il faut qu’il en soit capable

Nicolas Bresch, garde forestier

Le garde-forestier s’empare de sa machette et s’approche d’un arbre marqué d’un B orange, indiquant qu’il est déjà touché par l’insecte. Il gratte l’écorce et l’on aperçoit rapidement les galeries, avec des bostryches à l’intérieur. «Dans un processus naturel de défense, l’arbre peut provoquer une montée de sève qui fait exploser les insectes, explique-t-il. Mais pour ça, il faut qu’il en soit capable. Là on remarque qu’il a essayé, mais que ça n’a pas suffi à éliminer ses occupants, car il est trop épuisé.»

Défendre la forêt

Une fois qu’un épicéa est touché, il est nécessaire d’agir très rapidement, afin d’éviter au maximum la propagation du bostryche. «Cet été on a déjà fait deux coupes, nous informe Nicolas Bresch en nous montrant des endroits clairsemés dans la forêt. Sans ça, je pense qu’il y aurait eu beaucoup plus de dégâts. Dans mon périmètre, on compte un accroissement de la forêt de 650m3 par an et cette année on va couper le triple de cette surface pour la lutte sanitaire. Un an ça va, deux on supporte, mais après il n’y a plus rien. Ce n’est plus tellement de l’exploitation planifiée, on joue les pompiers.»

Car le véritable défi est là: sauvegarder les forêts et les faire évoluer. À Hautemorges, comme partout ailleurs, on fait aussi face au problème du bostryche. «On a dû faire de grosses trouées, lance le garde forestier Guy Favre. Nos grands-parents ont planté de l’épicéa, car à l’époque ça rapportait de l’argent. Mais aujourd’hui, ces monocultures posent problème, car une fois qu’un arbre est touché, c’est tous ceux autour de lui qui le seront par la suite. C’est pour cela qu’on cherche aujourd’hui à différencier les essences pour ne plus se retrouver avec cette même problématique dans 50 ans.»

On travaille avec la nature, on n’a pas le choix

Guy Favre, garde forestier

C’est une fatalité, l’épicéa va disparaître, à terme, de nos forêts, changement climatique oblige «mais à cette vitesse-là, on en aura plus sur le plateau dans quelques années seulement», assène Guy Favre. Mais le garde-forestier de Hautemorges reste lucide. «On travaille avec la nature, on n’a pas le choix. Le bostryche on le connaît, il y a aussi eu un pic après la tempête Lothar, mais c’est cyclique, ça va durer quelques années et disparaître naturellement.»

En attendant, la vigilance sera de mise à l’arrivée du printemps, pour repérer les arbres touchés et les sortir de la forêt pour éviter la contagion. «Il faudrait un hiver très froid et de la pluie pour que les arbres soient aptes à lutter, résume Nicolas Bresch. Pour le reste, on va s’adapter et essayer de conserver nos épicéas encore quelques années.»

Explications nécessaires

Les ravages du bostryche forcent les gardes forestiers à effectuer de grosses coupes dans les bois du coin. «C’est assez spectaculaire et les gens sont parfois choqués, confie Nicolas Bresch. Il est important de comprendre qu’on ne cherche pas à tuer la forêt, mais, au contraire de protéger au maximum les arbres qui restent.» Des arbres restants qui pourraient engendrer des générations plus robustes. «Je pense que les graines d’aujourd’hui, qui ont connu les grosses chaleurs, seront peut-être plus adaptées. La forêt saura toujours s’adapter», conclut Guy Favre.

«La forêt est rouge, ça fait mal»

Si le bostryche n’est pas grand, ses dégâts, eux, se remarquent bien. Notamment à Montricher où les arbres morts sont devenus légion à certains endroits.

«La forêt n’est vraiment pas belle actuellement. Elle est complètement rouge, ça fait mal à voir», soupire Pierre-Yves Morel, municipal des forêts de Montricher. Devant lui, un «bouquet» d’arbres rouge qui a pris cette couleur, car ils ont perdu leurs épines, la faute au bostryche, toujours. Mais dans cette commune en dévers, l’évacuation est complexe et coûteuse. «Nous avons beaucoup de réserves forestières où l’on n’intervient pas, donc là on peut les laisser pour la biodiversité, mais pour le reste, il faut savoir quoi faire de tout ce bois, dont la valeur est moindre une fois qu’il est bostryché.»

La littérature sur le bostryche parle d’un cycle d’une dizaine d’années pour revenir naturellement à une situation normale

Marc-André Silva, inspecteur forestier du 15e arrondissement

Une interrogation que partagent l’ensemble des municipaux en charge des forêts sur le Pied du Jura et au-delà. «La littérature sur le bostryche parle d’un cycle d’une dizaine d’années pour revenir naturellement à une situation normale, explique Marc-André Silva, inspecteur forestier du 15e arrondissement. Dans notre lutte, on est aidés par les parasites, les champignons, les insectes et les pics-bois, ses ennemis naturels qui le mangent.»

Mais il est impossible d’éliminer l’insecte. «On ne peut que tenter de le contenir», ajoute l’inspecteur forestier.

Depuis les réserves?

Pierre-Yves Morel se demande si les réserves forestières (ndlr: des espaces définis en forêt où les hommes n’interviennent plus durant 50 ans) ne contribuent pas à l’expansion du bostryche. «Comme on ne touche rien, il est tranquille pour se reproduire, puis se déplacer en masse dans les espaces qui ne sont pas des réserves», note le municipal. «Oui, il est possible que les réserves aient un impact sur ce développement, mais il est limité, assure Marc-André Silva. Par endroit, on essaie de travailler aux alentours pour créer des ‘‘zones tampons’’ pour éviter que le bostryche ne se répande trop rapidement et on tient compte de ça au moment de définir ces zones. Mais on ne peut pas dire que c’est à cause des réserves que cet insecte se multiplie.»

Exploiter le bois bleu au maximum

Sarah Rempe/VQH

Plus question de cacher le bois attaqué par les coléoptères dans les futures constructions cantonales. Les planches gris-bleu seront aussi apparentes.

En juin dernier, dans une réponse à une interpellation du député Yvan Pahud, le Conseil d’État annonçait que les projets cantonaux de construction en cours, tels que le Centre d’entretien de Rennaz, les futurs gymnases du Chablais et d’Échallens, l’École professionnelle de Payerne ou le Campus Santé, deviendront «des modèles d’utilisation du bois bostryché».

Concrètement, l’œuvre du bostryche s’accompagne d’un champignon qui s’installe dans l’arbre et le colore en bleu. S’il n’y a aucun autre effet que l’aspect visuel, cela suffit à faire perdre au bois jusqu’à 50 % de sa valeur. Dès lors, il est essentiel pour les gardes forestiers d’évacuer les arbres au plus vite une fois que le bostryche s’est installé, pour éviter cette teinte. Ce qui a pour conséquence de ne pas avoir un bois «à maturité» et souvent pas aussi gros qu’il pourrait devenir sans l’insecte ravageur. «La difficulté pour nous est ensuite d’écouler ces bois, confie Jeff Laffely, le nouveau directeur adjoint achats, ventes et administration de la Scierie Zahnd à Rueyres, la plus grande du canton. Dans ce contexte, nous apprécions donc particulièrement la nouvelle politique du Canton. Elle donne un signal à toute la filière.»

Mal habitués

Car il faudrait désormais accepter de voir du bois bleuté dans les constructions. «Ce bois est déjà utilisé, mais on le met à des endroits qu’on ne voit pas, note Guy Favre, garde forestier de Hautemorges. On a été mal habitués en Suisse avec une matière toujours parfaite. Aujourd’hui, si on veut construire local, on n’aura pas le choix de devoir accepter de voir ce bois bleu.»
«Peut-être que les constructions prévues par le Canton en bois bostryché vont changer quelque chose, espère Marc-André Silva. On espère dans tous les cas une hausse de l’utilisation de cette matière.»

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