Le protecteur des eaux régionales
Troisième volet de notre découverte des métiers lacustres avec la fonction de garde-pêche. Un peu réductrice, cette appellation recouvre en fait bien plus d’activités que la surveillance des amateurs de poissons.
Sylvain Kramer est un passionné, il n’y a aucun doute. L’étincelle qui brille dans ses yeux quand il parle du lac et de son métier le confirme. «J’ai toujours su que je voulais exercer une profession en lien avec la nature», confie le garde-pêche à la barre de son bateau par un vendredi gris et légèrement venteux. Au programme de sa tournée matinale: contrôle des permis de pêche et petites vérifications de routine dans la baie de Morges et à l’Île aux oiseaux de Préverenges. «Il n’y a pas de journée type, explique-t-il. Tout dépend de la météo, des besoins, des envies aussi. On ne fait jamais deux jours de suite la même chose, c’est ce qui me plaît vraiment dans ce métier.»
En poste depuis 2016, celui qui a grandi à Aubonne et vit à Apples possède plusieurs casquettes, ce que n’indique pas l’intitulé de sa profession. «On aimerait bien que ça change, le titre de garde-pêche ce n’est pas très crédible lorsque l’on doit auditionner dans le cas d’enquêtes de pollution par exemple, détaille-t-il. Inspecteur de la police de la faune et nature serait un énoncé un peu plus juste au regard de notre travail.»
Toutes substances ou produits déversés, autres que de l’eau, dans une grille ou un bassin directement relié aux eaux claires est considéré comme une pollution au sens de la loi et doit faire l’objet d’une dénonciation
Sylvain Kramer, garde-pêche
Sur tous les fronts
Car les tâches que Sylvain Kramer doit remplir sont nombreuses et dépassent largement le secteur de la pêche. «On n’est pas beaucoup sur le lac. J’essaie de m’appliquer à y être un maximum, mais on a bien plus de travail sur la terre ferme.» En effet, toutes les problématiques touchant les cours d’eau – pollutions des eaux, travaux en lien avec les berges, recensement de la faune piscicole, protection des milieux naturels ou encore gérer les cas liés la faune terrestre dans le cadre des permanences – concernent directement le garde-pêche. «De plus, je suis assermenté en qualité d’agent de police judiciaire, avec un droit de port d’arme notamment», précise le trentenaire. Un rôle de «gardien» qu’il doit par exemple assumer avec les questions de pollution de plus en plus fréquentes dans les rivières. «Lorsqu’un cas est signalé, nous devons trouver la source, puis effectuer une dénonciation qui ira tout droit chez le procureur étant donné que c’est un délit et condamné par la loi. Toutes substances ou produits déversés, autres que de l’eau, dans une grille ou un bassin directement relié aux eaux claires est considéré comme une pollution au sens de la loi et doit faire l’objet d’une dénonciation.»
De l’administratif nécessaire qui prend généralement beaucoup de temps. Sylvain Kramer préférerait se concentrer davantage sur le terrain: «Mais ça fait partie du job», relativise-t-il en souriant.
Observateur
Alors que notre embarcation fait une petite halte auprès de quelques pêcheurs pour vérifier que leur permis est en règle, Sylvain Kramer insiste sur l’importance de conserver de bonnes relations avec ces utilisateurs du lac. «Suivant le résultat de leur pêche, on peut savoir comment se comporte le poisson. S’il est en diminution ou au contraire très présent. Ils sont les premiers observateurs et peuvent me faire remonter ce qui leur semble étrange ou anormal.»
Une attention particulière et indispensable envers une faune aquatique fragile. «Avec la qualité de l’eau qui se dégrade, le réchauffement climatique et des problématiques de plus en plus fréquentes comme certaines rivières qui s’assèchent ou des espèces invasive et exotique qui colonisent nos eaux comme la moule Quaqqa (ndlr: une variété provenant de la Mer noire, sans doute malencontreusement importée via la coque d’un bateau, qui tapisse le lac et envahit les profondeurs au point de détruire le plancton, nécessaire à la survie des poissons). Nous devons être très attentifs.»
On a complètement perdu la notion de naturel et de laisser faire les choses
Sylvain Kramer, garde-pêche
Et si le garde-pêche se doit d’être sur le qui-vive pour suivre l’évolution des différentes espèces dans et autour du Léman, il note une déconnexion du public avec cette faune. «Surtout dans les villes, on vit un peu hors de la réalité, explique-t-il. On m’appelle par exemple pour me signaler un canard dans la rue. Mais c’est tout à fait normal qu’il se promène, c’est la nature.»
Et Sylvain Kramer de se souvenir d’une anecdote qui illustre bien son propos: «On m’a téléphoné pour me dire qu’une femelle cygne rejetait son petit. J’y suis allé, j’ai remis le jeune cygne dans son nid, mais à nouveau sa maman l’a expulsé violemment. Il était en fait handicapé et sa mère allait le tuer, car il n’aurait pas survécu. C’est la nature, mais allez expliquer ça aux 15 personnes qui étaient là et regardaient ce petit ‘‘trop chou’’. Il faut prendre le temps et essayer de leur faire comprendre. On a complètement perdu la notion de naturel et de laisser faire les choses. Récemment, on m’a aussi demandé d’enlever un poisson mort du port de Morges, car ça puait. J’entends bien, mais il servira de nourriture aux oiseaux ou à d’autres espèces du lac, c’est ça qui prime, pas le confort des promeneurs.»
Serrer les dents
Sylvain Kramer est passionné, mais comme dans chaque profession, il y a des moments plus difficiles à encaisser. «Lorsqu’il faut abattre un animal blessé pour abréger ses souffrances, on ne le fait pas avec plaisir, garantit-il. C’est compliqué, il faut du courage. D’autant plus quand les gens ne comprennent pas. Mais j’ai fait l’expérience, lors d’une permanence, avec un cabri de chamois de quelques jours qui avait perdu sa mère. On a beau les confier au meilleur vétérinaire et les bichonner, ils finissent, très souvent, par mourir hors de leur milieu naturel.»
Assurer l’équilibre entre la nature et les humains, c’est un peu la principale fonction de Sylvain Kramer qui, affirme-t-il, «ne l’échangerait pour rien au monde!»
Spécialité: pisciculture
Composé de neuf gardes-pêche (veillant sur les cours d’eau, lacs et alentours) et autant de surveillants de la faune (s’occupant du territoire terrestre), le Corps de police faune-nature vaudois peut être amené à effectuer des tâches plus spécifiques. C’est le cas de Sylvain Kramer qui a une «spécialité»: la pisciculture. «On a une production d’œufs, prélevée sur les poissons que l’on fait grandir et éclore pour rempoissonner certains cours d’eau, lacs et endroits défavorisés. On donne un petit coup de pouce à la nature en quelque sorte, explique le garde-pêche. C’est une de mes missions principales en période hivernale, je suis le seul garde qui m’occupe de ça.» Trois variétés sont ainsi «boostées»: la truite lacustre, l’omble chevalier et le corégone. «Certaines années, il y a 90% de pertes naturelles et d’œufs qui ne se développent pas. Que ce soit à cause des pollutions, des tempêtes, des crues ou des prédateurs, poursuit Sylvain Kramer. On aide donc cette première partie de leur vie, fécondation, incubation puis alevins que l’on nourrit un petit peu et que l’on remet en rivière ou au lac, selon leur milieu de vie.» Pour favoriser une gestion rationnelle des ressources piscicoles et dans le respect des équilibres biologiques, il existe notamment l’objectif d’introduire 10 millions de féras annuellement dans le Léman grâce à la pisciculture de St-Sulpice et de Thonon-les-Bains.
Découvrir plus de métiers du lac...
Une entière passion pour les poissons
Une belle famille nommée sauvetage
Dans la cabine d'un capitaine de la CGN
Abonnez-vous !
Afin d'avoir accès à l'actualité de votre région au quotidien, souscrivez un abonnement au Journal de Morges. S'abonner, c'est soutenir une presse de qualité et indépendante.