Fait divers: comment faut-il en parler?
Dans le contexte du drame qui s’est déroulé le 24 mars dernier à Montreux, la mission des journalistes dans la couverture d’un tel événement pose question. La rédaction s’exprime sur la déontologie qu’implique le métier.
"Chaque chose en son temps"
Le web permet de publier instantanément et de diffuser largement une quantité d’informations illimitée. C’est crucial pour les médias dans le cas de drames comme celui de Montreux, ou ceux survenus dans le quartier de la gare de Morges ces deux dernières années. En transmettant l’essentiel au plus vite, les journalistes peuvent tenter de couper l’herbe sous le pied aux rumeurs qui, elles aussi, fleurissent sur internet notamment. Et cela répond à un besoin d’information rapide de la population. Mais les enquêtes policières s’avèrent souvent chronophages. À vouloir à tout prix rebondir sur un sujet brûlant et élucider sur-le-champ une affaire complexe, on risque de commettre des erreurs ou tout du moins de diffuser des informations peu pertinentes, comme le signale très justement mon collègue Raphaël Cand. Il me semble donc que sur ce genre de sujets et outre leur réactivité et leur pugnacité habituelles, les journalistes modèles savent aussi s’armer… de patience.
«Confrontation délicate»
Une fois qu’un événement grave a été annoncé en quelques phrases désincarnées, on attend des journalistes qu’ils donnent au fait divers une dimension humaine. Et en me mettant à la place du lecteur, je comprends tout à fait qu’il espère que les nouvelles tombent le plus rapidement possible. Cependant, je dois avouer que j’ai eu – et j’aurai toujours – du mal à aller interroger les personnes lésées, touchées, voire traumatisées. Ceci quelques instants après qu’elles ont vécu l’horreur. L’intrusion dans la vie de ces inconnus n’est pas forcément en accord avec mes valeurs. Au quotidien, je serais plutôt du genre à respecter la sphère privée d’autrui et à ne pas me mêler de ce qui ne me concerne pas. Mais voilà, ma profession me demande parfois de « me mouiller », quitte à aller à l’encontre de cette philosophie. Si je ne suis pas pleinement convaincue par cette pratique journalistique, je suis bien forcée de constater que c’est ce qui est escompté par le plus grand nombre, et aussi que cela fait partie du métier. Alors, autant faire les choses au mieux, en tâchant de procéder avec respect et bienveillance dans les échanges avec les victimes. Il me semble que ce soit la moindre des choses.
«Un journalisme de qualité, avec des faits»
« Depuis le début de la pandémie, la famille était très intéressée par les thèses complotistes et survivalistes. » Tels sont les mots du communiqué de la Police cantonale vaudoise suite au drame qui s’est produit à Montreux la semaine dernière. La piste du suicide collectif est pour l’instant privilégiée. Sauter du septième étage d’un immeuble… Mais comment peut-on en arriver là? Si les suites de l’enquête confirment les motifs complotistes, cet événement rappellera les dérives auxquelles conduisent ce genre de pensées. La nécessité de combattre ces théories passe par un journalisme de qualité, qui s’en tient aux faits et rien qu’aux faits. Les journalistes se doivent d’appuyer leur propos par des sources (personnes, archives, livres, etc.). Les complotistes se basent eux sur des rumeurs et non des preuves. Alors que ces théories ont apparemment poussé une famille à commettre l’irréparable, rien ne peut être laissé au hasard.
«Des shorts toute l’année, vraiment?»
Lorsqu’un fait divers se produit, la police se montre peu bavarde et prudente dans les heures et jours qui suivent l’événement en question. Le journaliste doit alors se rendre sur le terrain et rencontrer les riverains pour tenter d’en savoir plus sur ce qui s’est passé. Un exercice qui est, selon moi, judicieux, mais à condition de faire le tri des informations que l’on obtient. Dans le cas du drame de Montreux, je m’interroge sur la pertinence des écrits de certains de mes confrères. J’ai par exemple pu repérer ici et là que « la petite avait souvent une robe jaune », que le père se baladait « en short toute l’année », sauf depuis six mois « en jeans », que ce dernier était « très grand, tout comme son fils de quinze ans », ou encore que de « l’odeur d’encens émanait du domicile ». Selon moi, relayer ces informations aux lecteurs n’a aucun intérêt. Porter des shorts en hiver (ou des jeans? On ne sait pas vraiment…), une robe jaune ou faire brûler de l’encens n’a strictement aucun lien de causalité avec le fait de se suicider. Non, les observations de tous les pseudos Jeff Jefferies ne sont pas bonnes à être partagées.
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