Touché coulé pour la verrerie de Saint-Prex | Journal de Morges
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Touché coulé pour la verrerie de Saint-Prex

Touché coulé pour la verrerie de Saint-Prex

Photo: Meylan/VQH

La direction de Vetropack a finalement décidé de mettre un terme à l’exploitation de son usine. Plus de 180 salariés vont perdre leur emploi. Les conséquences sont lourdes.

La décision de fermeture était attendue, mais elle a eu l’effet d’un coup de tonnerre, mardi à la première heure. Le Conseil d’administration de Vetropack, dont l’histoire est indissociable de la commune de Saint-Prex, a pris cette décision après l’examen minutieux des propositions alternatives de développement futur du site, présentées par les représentants du personnel. La moitié des 182 salariés verront leur poste de travail disparaître d’ici à la fin du mois d’août.

Cette décision est «dure et amère», a concédé le CEO de l’entreprise, Johann Reiter, lors d’une conférence de presse organisée dans la Salle de la Paix de la verrerie. Mais elle est assumée et n’est «pas prise à la légère», a assuré de son côté Claude Cornaz, président du Conseil d’administration de Vetropack. Les deux hommes estiment que l’examen approfondi des propositions de sauvegarde, bien que «très réfléchies et ambitieuses», n’a pas offert les garanties suffisantes pour permettre un maintien de la production en terres vaudoises. «Nous avons examiné dans les moindres détails toutes les propositions qui nous ont été présentées pour un développement du site», a expliqué Claude Cornaz. Constat: même avec d’éventuels investissements de plusieurs millions de francs et un soutien de l’État, Vetropack affirme que le site saint-preyard resterait déficitaire, faute de rentabilité et de compétitivité avec la concurrence étrangère. «Les propositions présentées ont surestimé les économies et sous-estimé les investissements», a poursuivi le président du Conseil d’administration.

Sous le choc

«Nous sommes prêts à assurer notre responsabilité sociale et ferons tout pour aider les employés», a promis Johann Reiter. Un plan social sera dès lors négocié dans les prochaines semaines. Le vice-président de la commission du personnel, Paulo Machado, l’espère «digne et respectueux». Celui qui affiche 18 ans de service au compteur appelle sa direction à davantage de «bonne volonté et de franchise» durant la nouvelle étape qui s’ouvre.

Les syndicats, de leur côté, dénoncent le cafouillage communicationnel qui a accompagné l’annonce de la fermeture du site. Les salariés s’estiment «offensés par le manque de respect avec lequel ils [ont] été traités, apprenant la nouvelle sur les sites Internet des médias», a fustigé Nicole Vassalli, responsable du secteur industrie au syndicat Unia. Croisés sur le site, les employés sont sur le choc. «Si on regarde la réalité en face, on se dit qu’il y avait peu de chances de voir Vetropack revenir en arrière. Mais ça fait deux mois que tout le monde nous soutient, donc on y a cru quand même, ce qui rend la situation encore plus dure aujourd’hui», a exprimé l’un d’eux.

«Jour noir»

Contacté dès l’officialisation de la décision de Vetropack, le syndic de Saint-Prex, Stéphane Porzi, ne pouvait cacher sa déception. «C’est un jour noir pour notre commune. Une part de notre identité, de notre ADN qui s’en va», a témoigné celui qui connaît parfaitement les lieux puisque son père y a fait toute sa carrière.
Malgré la création d’une task force avec les autorités cantonales et la mobilisation de l’ensemble de la classe politique vaudoise à Lausanne et à Berne, personne n’a pu éviter ce qui semblait inéluctable. «Le plus dur pour nous, c’est le sentiment d’impuissance. On a retourné le problème dans tous les sens et on s’est bien rendu compte qu’il n’y avait pas d’autre solution. Le site n’était plus rentable…» regrette l’édile saint-preyard.

Et celui qui a appris la nouvelle par un appel téléphonique de Claude Cornaz lundi dans la soirée d’ajouter, à propos du futur plan social: «Je pense que certains employés devraient pouvoir retrouver du travail relativement facilement. Par contre, pour certains corps de métier comme les opérateurs, ça risque d’être plus difficile, mais on va tout faire pour les accompagner du mieux qu’on peut afin qu’il y ait le moins de casse possible.»

Le syndic évoque une trentaine d’employés habitant dans sa commune. Un manque à gagner fiscal se dessine-t-il? Rien n’est moins sûr, à en croire Stéphane Porzi. «On en a déjà parlé avec le boursier communal. Une fermeture du site ne devrait pas avoir d’impact énorme sur les finances communales. C’est l’aspect humain qui nous pèse aujourd’hui», conclut-il.

Solidarité cantonale

Dans un communiqué, le Conseil d’État vaudois «déplore cette décision et exprime sa solidarité aux 180 employés. Il en appelle à la responsabilité de l’entreprise pour que des solutions d’accompagnements constructives soient trouvées et veillera au respect des procédures en vigueur en la matière». Le gouvernement a également annoncé qu’une «table ronde avec des entrepreneurs et représentants de l’industrie vaudoise organisée par le Service de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI)» se tiendra dans les prochains jours, afin de discuter notamment des défis auxquels fait face l’industrie suisse.

Le récit d’une réussite industrielle centenaire

Fondée par Henri Cornaz en 1911, la dernière verrerie de Suisse aura survécu 113 ans à Saint-Prex.

L’histoire de la verrerie de Saint-Prex est indissociable de celle de la famille Cornaz. Aujourd’hui président du Conseil d’administration de l’entreprise, Claude Cornaz est l’héritier d’une longue lignée d’industriels, dont l’oncle de son grand-père, Henri, est le premier membre.

Agriculteur, Henri Cornaz (1869-1948) est «un opportuniste rapide qui sait saisir les occasions là où elles se présentent», pour reprendre les termes de Karl Lüönd, auteur du livre Le verre, reflet de l’esprit du temps. Treizième de quinze enfants, l’entrepreneur fonde deux sociétés de ciment, dès la fin du 19e siècle, dont une usine à Aubonne. «C’est un gestionnaire, mais il ne tient pas en place, raconte Karl Lüönd. Deux ans [dans la région] lui suffisent. Il remet la direction de l’entreprise à son frère et s’installe en France.» Là, le fournisseur de matériaux de construction se mue en entrepreneur d’ouvrages ferroviaires. Il fait alors fortune.

Église et fresques

De retour en Suisse, Henri Cornaz achète une imposante ferme à Saint-Prex. Lorsqu’il sonde ses terres à la recherche d’eau pour un projet de scierie, il tombe sur du sable fin. Eurêka! Alors que le nombre de verreries en Suisse est passé de quinze à cinq depuis le 18e siècle, l’entrepreneur fonde une nouvelle société le 11 février 1911. Neuf mois plus tard, les premières bouteilles vertes à vin blanc sortent des fourneaux.

Rapidement, l’affaire grandit. Une église est édifiée dès 1916-17, alors que l’usine est encore en pleine construction, pour que les ouvriers catholiques, venus de Fribourg, s’acclimatent aux terres protestantes. Après la fin de la Première Guerre mondiale, Henri Cornaz fait ériger une maison qui comprend une salle de réunion, des espaces pour les associations et pour les répétitions de la fanfare. Sur les murs intérieurs de cette Salle de la Paix trônent encore six fresques allégoriques du monde du travail. C’est au pied de ces peintures – dont l’une d’elles est accompagnée de la phrase «Celui qui agit vaut mieux que celui qui parle» – qu’a été annoncée la fermeture de l’usine mardi dernier.

La longue histoire du verre sur la Côte, brusquement interrompue, aura vu la Verrerie S.A. Saint-Prex, racheter d’autres entreprises en Suisse alémanique, jusqu’à changer de nom, pour s’appeler Vetropack dès 1969 et s’exporter à l’international. Un nouveau chapitre de son vécu vient de s’écrire.

Les vignerons atteints

La fermeture de Vetropack est une triste nouvelle. C’était quand même une institution de par chez nous! D’un point de vue des vignerons, cela ne change pas énormément de choses, même si certains types de bouteilles ne seront plus produites. L’entreprise va continuer à fabriquer du verre ailleurs et le distribuer en Suisse, comme le fait par exemple le deuxième grand vendeur du pays, Univerre. Mais il est vrai que nous avions un attachement émotionnel avec Saint-Prex. C’était une chance de savoir que notre verre était produit à 10 minutes de chez nous.

 Catherine Cruchon, œnologue à Echichens
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