Chancelier d’État, métier peu visible
Après 24 ans passés à servir l’État comme chancelier, Vincent Grandjean, treizième à ce poste depuis la création de l’État de Vaud en 1803, quittera ses fonctions fin septembre. L’occasion de s’intéresser à ce métier largement méconnu et à son évolution.
Rares sont les métiers exercés par une seule et unique personne au sein de l’État de Vaud. Pourtant il en existe, à commencer par celui de chancelier, une fonction capitale que Vincent Grandjean exerce depuis 1997. «Le métier de chancelier a une base historique, dont les missions sont presque gravées dans le marbre, à savoir assurer le secrétariat des séances du gouvernement. C’est-à-dire la mise en forme des dossiers du Conseil d’État, en particulier ses décisions», résume-t-il en précisant que le gouvernement en prend entre 1400 et 1600 par année. Des décisions qui ont potentiellement une résonnance auprès de chaque Vaudoise et Vaudois et se doivent donc de jouir d’une garantie d’exactitude et de précision.
Gardien des règles de fonctionnement de l’administration et des institutions, à qui il incombe parfois de les rappeler, le chancelier participe aussi aux discussions du Conseil d’État, «avec une voix consultative, notamment pour préciser des points qui touchent au fonctionnement des institutions», précise Vincent Grandjean.
Le métier de chancelier a une base historique, dont les missions sont presque gravées dans le marbre
Vincent Grandjean, chancelier de l’État de Vaud depuis 1997
En plus de ces missions historiques, le chancelier a vu certains domaines prendre de l’ampleur tout au long de son mandat. «La communication s’est notablement développée et professionnalisée, particulièrement ces 20 dernières années», constate Vincent Grandjean. Tout comme la coordination entre les services et départements, notamment dans le cadre des grands dossiers sur lesquels doit travailler le Conseil d’État, ainsi que la planification stratégique des activités de l’État. «Certains outils qui ont rapidement fait leurs preuves, comme le plan de législature, qui n’existait pas lorsque j’ai pris ma charge de chancelier».
Chancelier depuis 24 ans donc, soit le quatrième dans l’ordre de longévité à cette fonction, Vincent Grandjean ne se doutait toutefois pas qu’il occuperait ce poste. «C’est un métier très peu visible. Mais, en arrivant à l’État, on comprend bien que beaucoup de choses tiennent précisément parce qu’il y a un travail de coordination. Cela ne peut donc pas vraiment être une vocation, plutôt une fonction qu’on apprend à connaître. On se découvre des affinités avec cette fonction quand on a plutôt un tempérament d’organisateur. Dans une vaste organisation, il faut des décideurs, mais aussi de gens qui n’ont pas ce talent, mais qui sont doués pour l’appui et la coordination.»
Chef du protocole
La charge de chancelier comprend encore la casquette de chef du protocole, cet ensemble d’usages et règles reconnus dans les relations entre collectivités publiques, cantons, avec la Confédération, les corps diplomatiques et évidemment les autres pays. «Ce sont surtout des règles de savoir-vivre. Mais même s’il a pris de l’importance pour le canton de Vaud qui s’est internationalisé, le protocole s’est desserré pour faire appel au bon sens et laisser de la place à la créativité et au bon goût.»
Avec les années, le chancelier devient en quelque sorte la mémoire du Conseil d’État. Pour Vincent Grandjean, la longévité est une qualité particulièrement importante dans cette fonction. Parce qu’il reste en poste généralement sur de longues durées, le chancelier peut faire le lien entre des événements et périodes qui se succèdent. «C’est véritablement un plus de se souvenir comment ont été traités des problèmes ou dossiers. Cette dimension mémorielle existe, et je pense qu’elle ne faiblira pas. Les choses vont aujourd’hui tellement vite qu’on a rapidement tendance à oublier, même ce qui s’est passé il y a seulement trois ou quatre ans.»
Le métier de chancelier, c’est aussi un lieu de travail des plus prestigieux, dans la mesure où Vincent Grandjean se rend chaque jour au château Saint-Maire, cœur du pouvoir cantonal, où se trouve son bureau. Un plaisir, avoue-t-il: «L’esthétique du bâtiment me touche pratiquement tous les jours. Je suis très sensible aux jeux de lumière. J’adore le Léman, parce qu’il est toujours différent. C’est un peu la même chose avec le château. Et, à mon corps défendant, à force de me balader dans tous ses recoins, l’histoire de ce lieu me colle à la peau.»
Regard en arrière
Lors de l’annonce du départ à la retraite de Vincent Grandjean au 1er octobre 2021, le Conseil d’État soulignait notamment «sa plume subtile, sa haute idée des institutions, un sens du devoir et une loyauté sans faille», en même temps qu’il relevait un intérêt particulièrement vif du chancelier pour Tintin. Celui que le monde entier a vu se rendre sur la lune, avant même que cet exploit ait été réellement accompli.
Malgré des éloges qui lui sont adressés, le chancelier rappelle que son entrée en fonction avait lieu à un moment où débutait une crise pour le canton, de la même manière qu’il s’apprête à quitter le château Saint-Maire alors que le Canton traverse l’une de ses plus graves crises sanitaires. «Il s’agit d’une malheureuse coïncidence, et je précise que je n’y suis pour rien», glisse-t-il furtivement, avec cet humour que toutes les personnes ayant travaillé avec Vincent Grandjean lui connaissent.
Malgré un contexte actuel de très forte tension, le chancelier tient pour sa part à faire preuve d’optimisme. «Les dégâts de la crise que nous traversons se mesurent d’abord par le nombre de décès, ce qui affecte les autorités. Et nous espérons que les dégâts socioéconomiques seront limités. Mais je suis persuadé qu’une bonne partie est derrière nous, même s’il reste évidemment encore du travail. Ce que j’ai connu dans les années 90 était un peu une leçon d’histoire. Après de tels phénomènes, il y a toujours un redémarrage, un redéploiement. Des choses se feront peut-être différemment, mais c’est une crise intense dont nous sortirons et dont on commence à voir le bout.»
L’anecdote royale norvégienne
Parmi ses nombreux souvenirs, le chancelier aime à s’en remémorer un en particulier lors d’une visite de la reine de Norvège.
Lorsque l’on demande à Vincent Grandjean une anecdote marquante, il raconte instantanément la visite du roi et de la reine de Norvège, en 2006. Événement durant lequel il portait sa casquette de chef du protocole. «Comme la reine avait fréquenté l’ancienne École de couture de Lausanne, elle a émis le vœu de revoir cet établissement, se souvient-il. Avec un petit groupe, nous avons cherché un moyen d’animer cette visite et avons réussi à retrouver une de ses anciennes maîtresses, devenue centenaire et que nous avons fait venir lors de cette visite. Elles se sont tout de suite souvenues l’une de l’autre. L’enseignante l’a spontanément tutoyée, pour le plus grand plaisir de la reine, extrêmement émue par cette surprise.»
Preuve pour le chancelier de la compatibilité entre le respect du protocole (en l’occurrence, aucune autre dame que la reine n’était vêtue de rouge ce jour-là, selon les usages de Norvège), et une certaine créativité dans les règles de savoir-vivre.
Archives
Dans le magazine «L’illustré» de l’époque, on pouvait lire à propos de cette visite: «Archives à l’appui, il a été établi que la souveraine fut une brillante élève. “Pouvez-vous me faire des photocopies de ces documents?” a d’ailleurs demandé Son Altesse, dans un français impeccable, à la directrice de l’Ecole de couture.»
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