Mobilisation historique de la Protection civile face au coronavirus | Journal de Morges
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Mobilisation historique de la Protection civile face au coronavirus

Mobilisation historique de la Protection civile face au coronavirus

Marc Dumartheray, Elody Reithaar, Séverine Clément et Ulrika Rosa ont joué un rôle clé dans la réponse à l’urgence sanitaire. Photo: Bovy

L’épidémie a donné lieu à une collaboration inédite entre la Fondation de La Côte et la Protection civile qui a contribué à éviter l’effondrement des services hospitaliers.

Nous sommes le 13 mars 2020. Le Conseil d’État déclenche le plan d’organisation en cas de catastrophe (ORCA). Nommé chef opération et accompagné du médecin cantonal, le chef de l’État-Major cantonal propose au Conseil d’État de décider de la mobilisation de la Protection civile (PCi).

Une première dans l’histoire de celle-ci, qui n’avait pas encore été déployée depuis sa création en 1963. «On connaissait la théorie, mais pas la pratique. Et ce que l’on a vécu ce printemps ne ressemble pas à des engagements de situation d’urgence tels que ceux réalisés chaque année, que ce soit un délestage sur l’autoroute ou une recherche de personnes disparues. Non, à rien de tout cela», souligne Marc Dumartheray, commandant de l’Organisation régionale de protection civile (ORPC) du District de Morges.

Dès le début de la mobilisation, les dix organisations de protection civile du canton sont réarticulées en quatre bataillons correspondant aux zones géographiques qui doivent chacune répondre à l’urgence. Marc Dumartheray prend le commandement du bataillon ouest, qui regroupe les régions morgienne et nyonnaise, tandis que la Fondation de La Côte (FLC) est mandatée pour mettre en place un dispositif de renfort communautaire dans le même secteur.
De la découverte des missions se dégage une priorité: soutenir le système de santé communautaire sur l’Ouest et le système hospitalier afin de leur éviter un effondrement, scénario vécu alors en Lombardie et redouté par les autorités vaudoises.

Actions multiples

En plus de son rôle habituel d’entité régionale d’aide et de soins à domicile comprenant dix Centres médico-sociaux (CMS), la Fondation a dû multiplier les axes de travail pour permettre au système de santé vaudois de ne pas être submergé.

Dès le 23 mars, la FLC a ainsi mis sur pied trois centres ambulatoires renforcés à Morges, Gland et Nyon avec possibilité de test Covid-19. «À ce jour, ceux-ci ont effectué près de 1300 consultations sur demande de médecins et d’institutions de la région. Compte tenu de l’évolution de la situation, ces centres sont actuellement en mode veille», précise Ulrika Rosa, responsable des prestations à la FLC et qui dans le cadre de la pandémie se retrouve en charge du dispositif d’équipes mobiles d’urgence (EMU) Covid-19. «Constituée par les groupes mobiles existants et renforcée par une équipe médicale issue des soins palliatifs et gériatriques de l’Ensemble hospitalier de la Côte, la mise en place du dispositif a demandé une coordination conséquente, mais elle a permis de venir en aide aux personnes âgées vivant à domicile et de réaliser des interventions spécialisées ou d’urgence dans des établissements médicaux-sociaux (EMS)», poursuit Ulrika Rosa.

 

La cellule sanitaire a canalisé un flux de communications très dense. Le personnel mobilisable va des étudiants en soins infirmiers, des infirmiers, des médecins qualifiés ou en formation, aux physiothérapeutes en passant par les soldats de l’Armée et les astreints de la PCi

Séverine Clément, Coordinatrice générale pour l’Ouest des demandes de matériel et des renforts en ressources humaines

Une cellule spéciale voit également le jour afin que toute institution sociosanitaire puisse bénéficier de soutien. Coordinatrice générale pour l’Ouest des demandes de matériel et des renforts en ressources humaines, Séverine Clément raconte. «La cellule sanitaire a canalisé un flux de communications très dense. Le personnel mobilisable va des étudiants en soins infirmiers, des infirmiers, des médecins qualifiés ou en formation, aux physiothérapeutes en passant par les soldats de l’Armée et les astreints de la PCi.» Un travail titanesque qui a également sollicité jusqu’à 125 membres de la Protection civile au plus fort de la crise. Indispensable pour pouvoir venir en aide aux trente structures ayant demandé du soutien dans la zone Ouest.
Face à une épidémie qui a surpris le monde entier, le canton de Vaud à dû lui aussi agir dans un premier temps dans l’urgence, en mobilisant des astreints qui apprennent sur le tas. «La nécessité de donner des formations est apparue évidente à nos yeux dès le départ, mais il a fallu envoyer très vite des forces dans les établissements, avant de pouvoir monter en puissance au fur et à mesure que la situation évoluait, développent Séverine Clément et Marc Dumartheray. On a donc fait avec nos moyens, soit des formations d’urgence dispensées au sein des établissements, puis on a pu créer en 48 heures des formations permettant aux astreints d’être déployés avec davantage de connaissances.»

Rapidement, des ajustements sont ainsi pris en fonction des retours du terrain, comme la réduction du nombre de jours réalisés à la suite (passant de sept à cinq). «Des patrouilles de contrôle se rendent deux fois par semaine dans les établissements et poursuivent un double objectif: s’assurer d’une part que les astreints sont correctement nourris, équipés de manière suffisante et en bon état psychique. Et d’autre part de voir si le personnel est satisfait», commente le commandant de la PCi.

Synergies trouvées

Après plus de deux mois de travail chevronné, la cellule sanitaire peut tirer une satisfaction globale en voyant les cas décroître et la situation revenir peu à peu au calme. «Il ne s’agit pas de s’envoyer des fleurs, mais il est important de souligner que la PCi et la FLC ont contribué à la réussite de leur mission principale», estime Marc Dumartheray. Rejoint par Ulrika Rosa qui salue la qualité de la collaboration entre les équipes. «Ça a été un travail collectif juste extraordinaire. On est parvenu à mettre en place beaucoup de choses en un temps record et des synergies intéressantes ont vu le jour. On s’est promis de poursuivre cette bonne collaboration.»

En perspective d’une potentielle nouvelle vague à laquelle la cellule sanitaire se prépare bien sûr, mais aussi à plus long terme. Car il est certain que pour la Protection civile, l’«après» Covid-19 aura des allures de tournant. «On a vu que notre société était insuffisamment préparée pour faire face à une telle crise sanitaire. Alors oui, je peux imaginer sans trop m’avancer une réorientation des astreints dans des missions plus proches de ce qu’on vient de vivre», conclut Marc Dumartheray.

Fierté et admiration

Marc Dumartheray ne pèse pas ses mots au moment d’évoquer ses sentiments quant à la mobilisation de «ses» hommes. «Je suis admiratif et très fier d’eux, car ils ont été sortis de leur zone de confort pour effectuer un travail pour lequel ils n’ont pas été formés initialement, le tout face à un ennemi impalpable. Dans la grande majorité des cas, ce travail a été réalisé avec brio, et cela souligne la nécessité de la milice et de la PCi, seule réserve stratégique du canton.» Concernant la méthode de sélection des astreints qui a suscité l’incompréhension de certains, le commandant s’explique. «Les districts de Morges et Nyon comptent 1500 astreints. Ça peut paraître énorme, mais on a reçu une série de directives, comme ne pas recourir aux personnes du secteur médical et celles issues d’autres métiers d’utilité publique. Le spectre était donc considérablement réduit. On a décidé de commencer par les personnes les plus formées pour la mission, soit l’assistance, et une fois ce réservoir épuisé, on s’est tourné vers les autres en faisant appel par compagnie. Il faut savoir qu’à la fin de la mobilisation prévue fin juin, l’intégralité de notre effectif aura été appelée.»

«J’ai fini ma première semaine en pleurant»

Voilà plus de deux mois que des astreints donnent de leur personne dans des lieux de vie. Témoignages.

Plus de 9000 jours de service ont été réalisés à ce jour par les hommes de la Protection civile morgienne et nyonnaise. Autant d’expériences qui ont été différentes pour chacun des 1500 astreints, selon le lieu et la date de mobilisation, ou encore la sensibilité de l’individu.

Parachuté parmi les premiers, le Morgien Antoine Chuard a dû faire face à une situation tendue dans un EMS de la région. «On m’a appelé un mardi et le lendemain, j’étais livré à moi-même à devoir gérer des personnes âgées qui voulaient sortir alors qu’elles ne sont pas autonomes et qu’il y avait déjà un cas recensé dans l’institution. On m’a demandé d’administrer des médicaments et d’aider les résidents à faire leurs besoins, mais je n’avais reçu aucune formation pour le faire. J’ai refusé, car ce n’était pas mon rôle. C’était très dur, en quelques jours on était passé à une dizaine de cas, et j’ai fini ma première semaine en pleurant.»

Au fil des jours, les retours du terrain permettent à la cellule sanitaire constituée à Saint-Prex d’améliorer les mobilisations. «L’armée et d’autres astreints sont venus en renfort, ce qui a calmé les choses, poursuit le Morgien qui affirme être sorti grandi de cette expérience hors du commun. On a été très utiles et on a vu qu’il y avait un clair manque à pallier. Le rapport avec les soignants a été incroyable. Un mouvement de solidarité et d’humanité très fort.»
Si tous les astreints n’ont pas été sollicités de manière aussi intense qu’Antoine Chuard, le sentiment d’utilité est très largement partagé, de même que la qualité des contacts avec le personnel sur le terrain. «Tous les collaborateurs ont été extrêmement gentils et attentionnés avec nous, souligne l’Islois Didier Cauderay, mobilisé au centre de dépistage de Morges. L’expérience et les missions se sont avérées très intéressantes.»

Seules critiques formulées par plusieurs astreints, le manque d’organisation au début de la crise et les critères de sélection. «En tant qu’indépendant, je me suis tapé des journées de 13 heures au début, alors que j’avais des amis chômeurs qui n’avaient pas été engagés. Après, tout le monde devait improviser et on comprend que ce n’était évident pour personne. Le plus important était de voir une réactivité de la part de la PCi.»

«Un soutien énorme»

Les établissements tiennent à saluer la présence d’astreints qui leur ont apporté aide et sentiment de sécurité.

Il y aura eu un avant et un après Covid-19 pour la Protection civile vaudoise (PCi), et c’est aussi vrai pour son image auprès de la société. Car les retours des différents établissements sont unanimes: les astreints ont été d’une utilité très précieuse, sinon salutaire au plus fort de l’épidémie. «Nous avons eu le bonheur d’accueillir des hommes de la PCi. Sans revendication, ils nous apportent leur sourire, leur disponibilité pour l’aide au repas, l’accompagnement des résidents qui subissent sans vraiment comprendre les conséquences du confinement loin de leurs proches. Cela est très bénéfique pour eux et permet aux soignants de prendre un peu plus de temps auprès de chaque personne âgée.»
Un autre établissement complète: «En plus de donner un coup de main indispensable pour la désinfection, la PCi nous a offert un sentiment de sécurité au personnel, c’est indéniable.»

«On peine à saisir l’ampleur de la réalité»

Isolés dans leur «cocon», des résidents de la Fondation Baud ont accepté de parler de la pandémie et de son impact sur leurs conditions de vie.

Le déconfinement amorcé, les établissements médicaux-sociaux (EMS) ont pu rouvrir leurs portes aux visiteurs il y a quelques jours. De bon augure pour des résidents qui étaient comme coupés du monde extérieur depuis plusieurs semaines. À la Fondation Baud, quatre Caque-à-part d’adoption ont accepté d’évoquer avec moi leur ressenti vis-à-vis de l’épidémie, dans une discussion franche et ouverte.

Comment avez-vous vécu l’arrivée du virus?

– Jean-Pierre Laffely (96 ans): J’ai été très surpris. Je ne pensais pas que ça provoquerait un changement si brusque. Qu’un virus puisse se répandre aussi vite dans le monde entier, c’est fou!

– Jeannine Cart (93 ans): Il est difficile pour nous de saisir l’ampleur de la réalité, on est comme dans un cocon ici, on est bien traités et bien soignés, alors on n’a pas l’impression qu’il y a tant de misère dans le monde.

– Huguette Croisier (88 ans): La médecine est capable de choses folles aujourd’hui, et pourtant là on voit que l’on est incapable de surmonter cet épisode.

Du haut de votre longue expérience, vous souvenez-vous d’épisodes comparables à cette situation de confinement?

– H.C.: On n’a jamais vécu d’isolement similaire. A la limite, le couvre-feu durant la Seconde Guerre mondiale! On devait alors éteindre les lumières pour éviter que les avions qui allaient bombarder l’Italie nous attaquent par erreur.

– Claudine Bonzon (92 ans): Mon père était mobilisé à cette époque. Je m’en souviens comme d’une période aussi très pesante pour la population, même si elle était probablement moins étendue qu’aujourd’hui.

– J-P.L.: Je me rappelle également de la fièvre aphteuse à la campagne. On a dû prendre des mesures de désinfection et des villages ont dû être mis en quarantaine, mais ce n’était pas aussi généralisé qu’à présent, car ça ne touchait que le bétail.

L’une des différences aujourd’hui, c’est l’existence de technologies qui permettent de garder le lien avec ses proches malgré l’isolement.

– J-P.L.: Oui, ce n’est plus comparable, on vit une époque où l’on peut communiquer. Ça nous fait beaucoup de bien, surtout en cette période d’isolement. C’est ce qu’il nous reste!

– H.C.: Plus que téléphoner, j’ai même pu parler en voyant ma fille, mon beau-fils et mes petits enfants, tous sur un écran. Je ne connaissais pas ça avant l’épidémie et c’est vraiment génial!

– C.B.: De mon côté, j’ai un petit boîtier électronique sur lequel des membres de ma famille peuvent envoyer des photos. Chaque jour j’en reçois de nouvelles, et ça me permet de suivre leur vie à distance. Les fêtes de Pâques, c’est comme si je les avais passées avec eux!

Votre EMS ne compte pas de cas positifs. On imagine que vous le vivez plutôt bien?

– H.C.: On se sent privilégiés. Si l’on était touché par le virus, nos possibilités de mouvement deviendraient beaucoup plus limitées alors que là on peut aller presque où l’on veut! On ne peut pas se plaindre, parce que tout va bien et que le personnel est super.

– J.C.: On a beaucoup de chance. Je n’ai pas eu un instant peur de quoi que ce soit.

– J-P.L.: On a confiance, les membres du personnel sont dévoués et très gentils avec nous. De notre côté, nous autres résidents, on s’efforce de l’être aussi avec eux.

Avez-vous la sensation que vos relations avec le personnel ont changé depuis le début de l’épidémie?

– J.C.: Non, je n’ai vu aucune différence dans le comportement des employés. Ils sont restés très professionnels!

– H.C.: Moi non plus, même si j’ai la sensation qu’il y a beaucoup de changements d’effectif ces derniers temps, et bien plus de plaques françaises que d’habitude sur le parking de l’institution!

– J-P.L.: Sans l’appui du personnel étranger, les établissements comme le nôtre ne seraient pas vivables.

– J.C.: Évidemment, car aujourd’hui les jeunes Suisses font en grande partie des études, mais ce n’est pas pour essuyer le derrière des vieux! C’est pour cette raison que le métier est délaissé et qu’il y a besoin de la main-d’œuvre étrangère.

– H.C.: Je remarque quand même que les jeunes Suisses qui passent ici durant leurs études ou leur service civil vivent une vraie expérience de vie, en se confrontant aux malades et aux impotents. C’est une bonne chose.

– C.B.: Moi. ce que je trouve fou, c’est l’amour que les jeunes peuvent nous témoigner.

Le fait que la société humaine mondiale est désormais très connectée explique en bonne partie la vitesse foudroyante de la propagation du virus. Quel regard portez-vous sur notre monde?

– J.C.: C’était logique! Plus la population bouge, plus les risques deviennent grands. Et aujourd’hui, les marchandises et les êtres humains voyagent énormément, c’est pour ça qu’une telle épidémie peut se propager autant.

– J-P.L.: Je trouve que le monde s’emballait, cela devait nous arriver, car tout allait trop vite. Ces gens qui partaient à l’autre bout de la planète parce qu’ils avaient une semaine de vacances, ils avaient trop la bougeotte! Alors le virus nous a freinés.

Que peut-on souhaiter à notre société?

– C.B.: Que du bonheur pour chacun, même si on sait bien que c’est difficile. J’espère que tout se passera pour le mieux et que les gens vont réfléchir à ce que l’on peut améliorer.

– J.C.: On aurait longtemps à débattre sur une telle question, mais il y a déjà le fait que l’argent mène le monde qui pose problème. En ce qui me concerne, je suis convaincue que la société repartira comme elle s’est arrêtée.

– J-P.L.: Une réflexion sur ce qu’il s’est passé est nécessaire, il faut se demander s’il est possible de modifier notre fonctionnement et notre façon de penser. La finance domine de plus en plus le monde et c’est malheureux. Un tel changement devra passer par l’éducation des enfants dès leur plus jeune âge.

– H.C.: Il faut espérer que nos autorités politiques parviennent à ramener le calme et que l’on puisse en revenir à une société apaisée. Cela passera sûrement par davantage d’entraide.

Un parloir a vu le jour

Voilà dix jours que la Fondation Baud a pu rouvrir les visites. «Après avoir mis en place les appels «skype» pour les résidents, on s’est fixé comme priorité de créer un parloir pour leur permettre de voir leurs proches au plus vite», commente Guy Favrod, responsable socioculturel. Les personnes sont séparées par une vitre en plexiglas, tandis que l’organisation des entrevues se fait selon un planning et des mesures sanitaires strictes. Ce qui n’empêche pas le parloir d’être utilisé à plein régime et au grand bonheur des familles. «Les visites sont très contrôlées, mais elles génèrent beaucoup d’émotions», poursuit Guy Favrod.

Dans l’ombre des médecins, les petites mains des EMS méritent aussi la lumière

Rarement mis en avant, les métiers d’auxiliaires de soin et de ménage sont aussi très peu rémunérés. Au point de voir des difficultés de recruter émerger dans les structures.

Arriver à 7h. Se désinfecter les mains. Enfiler sa tenue d’auxiliaire de soin. Désinfecter les fauteuils de la cafétéria. Remonter les tranches de pain aux étages. Préparer les petits-déjeuners en fonction des désirs de chacun. Porter les plateaux en chambre. Sourire. Échanger quelques mots avec le résident. Refaire les lits des résidents partis à la douche. Débarrasser les plateaux des repas. Les redescendre. Les désinfecter. Aider au service du dîner. Soutenir les résidents qui peinent à s’alimenter. Discuter. Nettoyer les tables. Ramener les résidents en chambre. Les aider à se lever, à se déplacer, à s’asseoir, à se coucher. Se promener avec eux. Sourire. Motiver. Compatir. Plaisanter. Accompagner. Repartir.

Voilà les tâches que j’ai effectuées pendant 17 jours. Prises les unes indépendamment des autres, ces actions peuvent paraître faciles à réaliser ou dénuées de sens. Mais une fois mises bout à bout, elles constituent à la fois des journées éreintantes sur les plans physique et psychologique pour celui qui s’y emploie – ou plutôt celle, mes excuses aux trop rares messieurs présents dans le secteur – et elles se révèlent en plus d’une valeur inestimable, puisqu’il s’agit ici d’offrir une fin de vie digne à un être humain.
En assistant jour après jour au labeur de chacune des femmes de ménage, auxiliaires de soin, infirmières et autres employées de la Fondation Baud déterminées à ne pas laisser entrer le virus dans ses murs, on peut éprouver de l’admiration.

Je ne fais pas mon métier pour devenir riche, mais c’est vrai que je ne dirais pas non à l’idée de pouvoir vivre d’un salaire à 80%. Travailler à temps plein, ça use beaucoup

Une auxiliaire de soin

Un sentiment renforcé par les horaires de nuit et de week-end. Un sentiment renforcé par les craintes qu’ont pu vivre certaines collaboratrices dont la famille est à risque et se trouve dans un autre pays ou continent. Un sentiment renforcé aussi par les montants dérisoires touchés par les auxiliaires de soin et les femmes de ménage. «Quand j’ai commencé à faire ce métier, je gagnais 2800 francs par mois, à 100%», témoigne une auxiliaire de soin. «Je ne fais pas mon métier pour devenir riche, mais c’est vrai que je ne dirais pas non à l’idée de pouvoir vivre d’un salaire à 80%. Travailler à temps plein, ça use beaucoup.»

En novembre 2019, des manifestations secouent le pavé lausannois pour accélérer des revalorisations salariales réclamées depuis dix ans dans le secteur. Les salaires minimaux passent de 3750 francs bruts à 4200 pour les auxiliaires de soin. Le personnel d’intendance commence à 4114 francs. Une étape importante, mais insuffisante. On pourrait m’accuser de tomber dans le sentimentalisme mièvre, de m’attacher bêtement à des personnes qui effectuent une profession et crachent dans la soupe en estimant qu’elles ne sont pas assez rémunérées.
Les accusations seraient porteuses si premièrement, les collaboratrices en question s’étaient plaintes de quoi que ce soit à moi, ce qui n’est pas le cas. Et deuxièmement si la situation de nombreux EMS en Suisse ne devenait pas franchement inquiétante en matière de recrutement. «Le secteur rencontre depuis un an et demi environ de grosses difficultés à engager certaines collaboratrices telles que les auxiliaires de soin à cause des questions de revalorisations salariales», dixit Franck Piccolo, infirmier-chef et responsable de l’unité de soin de la Fondation Baud. Qui n’est effectivement pas le seul à s’inquiéter, vérification faite auprès d’autres établissements.

La sensation d’urgence retombe peu à peu en ce qui concerne l’épidémie de Covid-19, mais nos sens doivent rester en alerte vis-à-vis de ces métiers indispensables à notre société. Car si se réjouir d’avoir pu compter sur ces héroïnes durant la catastrophe sanitaire que l’on vit est tout ce qu’il y a de plus légitime, il est dès lors nécessaire de se poser une question centrale: seront-elles là encore longtemps?

Une charge de travail décuplée

Accueillant des résidents aussi bien de manière permanente que temporaire, la Fondation Baud s’est adaptée avec succès aux défis posés par le Covid-19.

«Salut! Ca va? Alors, toujours pas de cas positifs?» Il n’est pas exagéré de dire que lorsque l’on se rend chaque jour dans un EMS pour y travailler, on se félicite volontiers avec le premier collaborateur croisé de ne toujours pas avoir vu le moindre signe du coronavirus dans l’institution. Une chance qui ne signifie pas pour autant que la vie est calme dans les bâtiments situés au cœur du village du pied du Jura. «Avant, tous les types de population se mélangeaient dans nos murs. Du jour au lendemain, il a fallu que chaque structure se referme sur elle-même pour éviter les contagions», confient Carole Blanc et Frédéric Schwerzermann, animateurs socioculturels.

Ainsi, les quelque 44 personnes hébergées en long séjour restent entre elles, de même que celles vivant dans les 32 appartements adaptés situés en dessous du bâtiment de l’EMS, ou encore celles qui venaient de manière temporaire pour partager un repas ou une animation durant la journée.
Une petite révolution pour un secteur socioculturel habitué à réaliser une part importante de sorties et d’activités de groupe. «Il a donc fallu remanier intégralement notre planning d’animations, nous questionnant sur ce qu’il était encore possible de faire. Réaménager les espaces de vie aussi. Et puis il y a toute la dimension d’accompagnement qui a dû être revue, car on communique beaucoup avec notre bouche et le port d’un masque demande de changer ses habitudes. Sans parler de la règle de distanciation sociale, quasiment impossible à respecter selon les cas de figure», complète Anaël Hupka, animateur.

Plus de livraisons

Il n’y a pas eu de baisse d’activités dans les cuisines de la Fondation, bien au contraire. «On effectue des livraisons de repas quotidiennement dans les appartements protégés, là où on le faisait une fois par semaine auparavant. Au niveau de l’accueil de jour, on prépare beaucoup moins de repas, mais on en livre bien plus à domicile chaque jour. En temps normal, on tourne à 350 repas à domicile par mois, en ce moment on dépasse les 500», explique Jérôme Vitte, responsable du restaurant et de la livraison des repas pour le CMS d’Aubonne.
Au sein même de l’EMS d’Apples, la situation est similaire, puisque les résidents ont dû être séparés entre ceux qui prennent leurs repas en cafétéria et les autres dans les étages. Les personnes un peu plus vulnérables sont aussi confinées dans leur chambre, de même que des résidents qui doivent intégrer ou réintégrer l’établissement. «Ça nous a donné beaucoup de travail au sein de l’EMS, car on a dû mettre toute une logistique en place pour pouvoir amener des chariots avec des plateaux nominatifs et doubler le nombre de sites où l’on devait servir nos repas», poursuit Jérôme Vitte.

La logistique, un défi énorme qui se poursuit bien évidemment dans les secteurs de soin et de l’intendance (qui regroupe le ménage, la lingerie, et la cafétéria), où les protocoles de sécurité liés au Covid-19 sont également nombreux et forcent les employés à constamment s’adapter et réinventer leur métier.

Quand la crise renforce un collectif

Malgré les nombreuses sources de tensions, les équipes actives au sein des institutions socio-sanitaires font preuve de solidarité.

Après plusieurs jours de service au sein d’un EMS, l’astreint de protection civile prend conscience d’une chose: si le cahier des charges est le même, les ordres évoluent sensiblement en fonction de la personne qui les donne. «J’ai vécu une situation où deux employées de secteurs différents m’ont dit à cinq minutes d’intervalle d’agir de manière opposée par rapport à un même résident. Je n’ai pas su quoi faire et les deux ont fini par en débattre», confie Jean (prénom d’emprunt). Un cas fréquent si l’on en croit une préposée à l’intendance. «Dans nos métiers, la marge de manœuvre est importante.»

Et dans un contexte où peuvent s’ajouter une surcharge de travail lié à la prévention du Covid-19 et la pression même dudit virus, les tensions sont inévitables. Pour autant, il semble que les institutions de vie ont plutôt vécu la pandémie comme un événement fédérateur. «Des désaccords interviennent régulièrement, mais le sens de la mission reprend toujours le dessus, commente Nicole Keller, responsable hôtelière à la Fondation Baud. Entretenir les liens entre les différents secteurs est un perpétuel investissement et c’est parfois difficile, mais j’ai la sensation que l’on y parvient bien ici, et encore mieux en cette période.»

Mobilisée durant la pandémie pour venir en soutien psychologique auprès des résidents des établissements sociosanitaires vaudois, mais aussi de leur personnel, la doctoresse Estelle Gillès De Pélichy parle d’une belle collaboration entre les corps de métiers. «On a pu se rendre compte que les membres du personnel ont su faire preuve de solidarité et laisser tomber les petits conflits du quotidien, pour passer au-dessus et se dire que ce qui primait était la globalité», déclare la responsable du service de psychiatrie de la personne âgée de l’hôpital de Prangins. Qui conclut. «Avec une situation qui se détend, il faudra éviter de retomber dans une certaine routine de soins au risque de se démobiliser et de perdre les acquis de solidarité développés pendant la crise.»

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